Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome22.djvu/338

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
320
ESSAI SUR LA NATURE DU FEU

parties qui se transforment en feu, il n’y en a aucune de cette espèce, et nul corps ne devient feu.

Si on entend par combustible ce qui prend la forme du feu, ce qui s’embrase, il est clair que rien ne pouvant prendre cette forme que le feu lui-même, le pabulum ignis, le corps qui s’embrase, n’est autre chose qu’un corps qui contient la matière ignée dans ses pores ; et de quelque façon qu’on s’y prenne, il n’y a que le mouvement qui puisse déceler cette matière ignée[1].

Mais quelles parties des corps contiennent le feu ? Les moindres opérations chimiques nous apprennent que les sels, les flegmes, la tête morte, ne s’enflamment point ; la seule matière inflammable qu’on retire des corps est ce qu’on appelle l’huile ou le soufre. Ainsi les corps ne sont donc l’aliment du feu qu’à proportion qu’ils contiennent de ce soufre, de cette huile.

Mais qu’est-ce que ce soufre lui-même ? C’est un principe en chimie ; mais ce principe n’est physiquement qu’un mixte, dans lequel il entre encore de l’eau, de la terre, de l’air, et du feu : or ce n’est ni par l’eau, ni par l’air, ni par la terre, qu’il est inflammable ; ce n’est donc que par le feu élémentaire qu’il contient ; aussi l’infatigable Homberg disait que ce qu’on appelle le soufre principe n’est autre chose que le feu lui-même ; tout se réduit toujours ici à ce feu élémentaire, lequel s’échappe des mixtes, et dont la quantité et le mouvement font la force[2].

Or, pour que ce feu élémentaire embrase les mixtes et continue à les embraser, on demande si l’air est nécessaire.

On sait que nous ne pouvons guère ni produire ni conserver notre feu factice sans air, ni même avec le même air : il nous faut toujours un air renouvelé ; de sorte que le feu ainsi que les animaux meurent souvent[3] dans la machine pneumatique en très-peu de temps, si le récipient est vide, et si le récipient est plein de même air.

  1. Le pabulum ignis ne peut être que le phlogistique de Slahl ; M. de Voltaire paraît le sentir. (Voyez la note 1 de la page 313.) L’expression qui contient le feu dans ses pores tient à la physique d’un temps où l’on ne savait pas assez distinguer une véritable combinaison d’un simple mélange. Ce n’est point que nous sachions en quoi consiste essentiellement ce que l’on nomme combinaison. En ce genre nous avons fait peu de progrès dans la connaissance des causes, des lois mécaniques des phénomènes, mais nous en avons fait d’immenses dans la connaissance des faits ; nous avons appris à les observer avec bien plus d’exactitude et de précision, et à en tirer des règles générales que l’on peut regarder comme des lois empiriques des phénomènes. (K.)
  2. Ce qui précède est du chaos hermétique. (D.)
  3. Ce n’est pas souvent, mais toujours. (D.)