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À M. L’ABBÉ NADAL.

billets gratis à tout le monde ; mais quelques-uns de ces partisans, ennuyés malheureusement de votre pièce, rendirent publiquement l’argent en disant : « Nous aimons mieux payer, et siffler comme les autres. »

Je vous épargne mille petits détails de cette espèce, et je me hâte de répondre aux choses obligeantes que vous avez imprimées sur mon compte.

Vous dites que je suis intimement[1] attaché à M. de Voltaire, et c’est à cela que je me suis reconnu. Oui, monsieur, je lui suis tendrement dévoué par estime, par amitié et par reconnaissance.

Vous dites que je récite ses vers souvent : c’est la différence, monsieur l’abbé, qui doit être entre les amis de M. de Voltaire et les vôtres, si vous en avez.

Vous m’appelez facteur de bel esprit : je n’ai rien du bel esprit, je vous jure ; je n’écris en prose que dans les occasions pressantes, et jamais en vers : car on sait que je ne suis pas poëte, non plus que vous, mon cher abbé.

Vous me reprochez de rapporter à M. de Voltaire les avis du public. J’avoue que je lui apprends avec sincérité les critiques que j’entends faire de ses ouvrages, parce que je sais qu’il aime à se corriger, et qu’il ne répond jamais aux mauvaises satires que par le silence, comme vous l’éprouvez heureusement, et aux bonnes critiques par une grande docilité.

Je crois donc lui rendre un vrai service en ne lui celant rien de ce qu’on dit de ses productions. Je suis persuadé que c’est ainsi qu’il en faut user avec tous les auteurs raisonnables : et je veux bien même faire ici, par charité pour vous, ce que je fais par estime et par amitié pour lui.

Je ne vous cacherai donc rien de tout ce que j’entendais dire de vous lorsqu’on jouait votre Mariamne. Tout le monde y reconnut votre style ; et quelques mauvais plaisants qui se ressouvenaient que vous étiez l’auteur des Machabées, d’Hérode, et de Saül, disaient que vous aviez mis l’Ancien Testament en vers burlesques : ce qui est véritablement horrible et scandaleux.

Il y en avait qui, ayant aperçu les gens que vous aviez apostés pour vous applaudir, et les archers que vous aviez mis en senti-

  1. Voici les passages de la préface de Nadal :

    « Je ne puis, à la vérité, ne pas soupçonner un homme qui lui est intimement attaché... C’est une espèce de facteur de bel esprit et de littérature ; dépositaire de toutes les conceptions de cet auteur, il en est devenu l’organe ; il récite ses pièces partout... Il rapporte au logis les avis et les observations du dehors... »