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ESSAI SUR LA NATURE DU FEU

froide ; le feu, par son mouvement, peut donc unir ensemble des matières qui par là même deviennent froides.

Que l’on jette des morceaux de glace dans l’air, ils seront toujours froids quoique en mouvement ; les exhalaisons du nord, le vent, qui n’est autre chose que l’air dilaté, doivent être considérés comme une puissance qui pousse des parties de glace.

Le feu, par son mouvement, contribue donc même au froid, puisque avec le feu nous glaçons des liqueurs ; puisque des fluides empreints de matière ignée, tels que le sel volatil d’urine et le vinaigre, tels que le sel ammoniac et le mercure sublimé , font baisser prodigieusement le thermomètre ; puisque l’air dilaté par l’action du feu nous apporte du nord des particules froides[1].

SECTION II.
n’est-il pas la cause de l’élasticité ?

Le feu étant en mouvement dans tous les corps, le feu agissant par ce mouvement, la réaction étant toujours égale à l’action, ne suit-il pas que le feu doit causer l’élasticité ?

Être élastique, c’est revenir par le mouvement au point dont on est parti, c’est être repoussé en proportion de ce qu’on presse. Pour que les mixtes aient cette propriété, il faut qu’ils ne soient pas entièrement durs, que l’adhésion de leurs parties constituantes ne soit pas invincible : car alors rien ne pourrait presser et refouler leurs parties, ni en dedans ni en dehors.

Une balle fait ressort en tombant sur une pierre, parce que les parties qui touchent la pierre en sont repoussées ; parce que la réaction de la pierre est égale à l’action de la balle ; quand

  1. Ces phénomènes paraissent indiquer un nouveau principe qu’on ne soupçonnait pas lorsque M. de Voltaire écrivait cet Essai. Les corps, en passant de l’état de solide à l’état de liquide, de celui de liquide à l’état de vapeurs, en se combinant, en se dissolvant dans les menstrues, paraissent acquérir la propriété de s’unir à une quantité de feu plus ou moins grande que dans leur état antérieur ; en sorte qu’ils peuvent refroidir ou échauffer les corps avec lesquels ils communiquent, tandis que, s’ils étaient restés dans leur premier état, ils n’auraient rien changé à la température de ces mômes corps. On a fait depuis quelques années des expériences très-suivies et très-bien faites sur cette classe de phénomènes. Il paraît donc que le feu s’applique aux corps de trois manières différentes : 1° en sorte qu’il puisse en être séparé sans y rien changer que leur température ; 2° de manière à ne pouvoir en être séparé que lorsque l’état de ce corps vient à changer ; 3° par une véritable combinaison qu’on ne peut détruire sans changer la nature du corps. On peut consulter sur cet objet les ouvrages de MM. Scheele, Black, Crawford ; on y trouvera des expériences bien faites, bien combinées, et des vues ingénieuses. (K.)