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ET SUR SA PROPAGATION.

corps, ce qui ne serait pas incompatible. Il serait dans l’ordre des êtres une substance mitoyenne entre les corps plus grossiers que lui, et d’autres substances plus pures que lui ; il tiendrait à ceux-ci par la pénétrabilité et par sa liberté de n’être entraîné vers aucun centre ; il tiendrait aux autres par sa divisibilité, par son mouvement, semblable en ce sens à ces substances qui semblent marquer les bornes de ces espèces qui ne sont ni animaux ni végétaux absolus, et qui semblent être les degrés par lesquels la nature passe d’un genre à un autre. On ne peut pas dire que cette chaîne des êtres soit sans vraisemblance ; et cette idée, qui agrandit l’univers, n’en serait par là que plus philosophique.

Cependant, quoique aucune expérience ne semble encore avoir constaté invinciblement la pesanteur et l’impénétrabilité du feu, il paraît qu’on ne peut se dispenser de les admettre. À l’égard de la pesanteur, les expériences lui sont au moins très-favorables.

À l’égard de l’impénétrabilité, elle paraît plus certaine : car le feu est corps ; ses parties sont très-solides, puisqu’elles divisent les corps les plus solides, puisque l’aiguille d’une boussole tourne au foyer d’un verre ardent, etc.

La solidité emporte nécessairement l’impénétrabilité. Il est vrai que les traits de feu qu’on nomme rayons de lumière se croisent ; mais ils peuvent très-bien se croiser sans se pénétrer : car tout corps ayant incomparablement plus de pores que de matière, ces traits de feu passent, non pas dans la substance solide des parties élémentaires les unes des autres, ce qui serait incompréhensible, mais dans les pores les uns des autres ; et, non-seulement ils peuvent se croiser ainsi, mais ils se croisent l’un par-dessus l’autre comme des bâtons ; et de là vient, pour le dire en passant, que deux hommes ne voient jamais le même point physique, le même minimum visible.

Il paraît donc enfin qu’on doit admettre que le feu a toutes les propriétés primordiales connues de la matière. Voyons ses propriétés particulières, et d’où elles dépendent, pour tâcher de connaître quelque chose de sa nature.

ARTICLE  III.
quelles sont les autres propriétés générales du feu.


Les deux attributs qui caractérisent le feu étant de brûler et d’éclairer, d’où lui viennent ces deux attributs, et quelles autres propriétés en résultent ?