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ESSAI SUR LA NATURE DU FEU

Les deux autres pièces, l’une du jésuite Lozeran de Fiesc, et l’autre de M. le comte de Créquy-Canaple, sont d’un genre différent : l’une explique tout par les petits tourbillons de Malebranche ; l’autre, par deux courants contraires d’un fluide éthéré. L’honneur que reçurent ces deux pièces prouve combien la véritable physique, celle qui s’occupe des faits et non des hypothèses, celle qui cherche des vérités et non des systèmes, était alors peu connue, même dans l’Académie des sciences. Un reste de cartésianisme, qu’on trouvait dans un ouvrage, paraissait presque un mérite qu’il fallait encourager. Cette sagesse avec laquelle Newton s’était contenté de donner une loi générale qu’il avait découverte sans chercher la cause première de cette loi, que ni l’étude des phénomènes, ni le calcul, ne pouvaient lui révéler ; cette sagesse ramenait, disait-on, dans la physique les qualités occultes des anciens, comme s’il n’était pas plus philosophique d’ignorer la cause d’un fait que de créer, pour l’expliquer, des tourbillons, des courants, et des fluides.

Les pièces de Mme  du Châtelet et de Voltaire sont les seules où l’on trouve des recherches de physique et des faits précis et bien discutés. Les juges des prix, en leur accordant cet éloge, déclarèrent qu’ils ne pouvaient approuver l’idée qu’on y donnait de la nature du feu : déclaration qu’ils auraient dû faire avec encore plus de raison pour deux au moins des ouvrages couronnés. L’Académie, à la demande des deux auteurs, fit imprimer ces pièces dans le recueil des prix, à la suite de celles qui avaient partagé ses suffrages.

On doit remarquer surtout, dans l’ouvrage de Mme  du Châtelet, l’idée que la lumière et la chaleur ont pour cause un même élément[1] : lumineux, lorsqu’il se meut en ligne droite ; échauffant, quand ses particules ont un mouvement irrégulier ; il échauffe sans éclairer, lorsqu’un trop petit nombre de ses rayons part de chaque point en ligne droite pour donner la sensation de la lumière ; il luit sans échauffer, lorsque les rayons en ligne droite, en assez grand nombre pour donner la sensation de lumière, ne sont pas assez nombreux pour produire celle de chaleur : c’est ainsi que l’air produit du son ou du vent, suivant la nature du mouvement qui lui est imprimé.

On trouve aussi dans la même pièce l’opinion que les rayons différemment colorés ne donnent pas un égal degré de chaleur ; Mme  du Châtelet annonce ce phénomène, que M. l’abbé Rochon a prouvé depuis par des expériences suivies.

Mme  du Châtelet admettait enfin l’existence d’un feu central : opinion susceptible d’être prouvée par des observations et des expériences, mais que dans ces derniers temps un assez grand nombre de physiciens ont mieux aimé admettre qu’examiner, parce qu’il est très-commode, quand on fait un système, d’avoir une si grande masse de chaleur à sa disposition.

La pièce de Voltaire est la seule qui contienne quelques expériences

  1. Personne n’en doute aujourd’hui. Mais le mouvement n’est pas celui de molécules lumineuses qui se transportent : c’est un mouvement vibratoire. Les différences d’effet tiennent à des différences de vitesse. (D.)