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SUR LA PHILOSOPHIE DE NEWTON.

donné plus de preuves de cette imagination riante et sensée que n’en ont donné le cardinal Cusa, Kepler, Brunus, et tant d’autres, et surtout M. de Fontenelle. Autre chose est rendre une opinion vraisemblable, autre chose est la prouver. Nous pouvons soupçonner que des planètes, semblables à la nôtre, sont peuplées d’animaux ; mais nous n’avons pas sur cela d’autre degré de probabilité, exactement parlant, qu’en aurait un homme qui aurait des puces, et qui conclurait que tous ceux qu’il voit passer dans la rue ont des puces aussi bien que lui : il se peut très-bien faire que ces passants aient des puces, mais il n’est point du tout prouvé qu’ils en aient.

sur l’attraction de tous les corps.

Je devais finir l’Essai sur les Éléments de Newton par faire voir que l’attraction agit sensiblement sur la matière, et devient une qualité palpable[1], bien loin d’être une qualité occulte. Je me bornerai ici à un seul exemple. Il n’y a personne qui ne voie tous les jours de l’eau monter, soit entre deux glaces de miroir presque collées l’une auprès de l’autre, soit dans des tuyaux de verre fort étroits, ouverts par les deux bouts. Il est démontré que ce n’est ni l’air ni un fluide quelconque, pressant sur cette eau, qui la puisse faire monter ainsi : cette expérience se fait fort bien dans la machine pneumatique purgée d’air ; qu’on plonge d’ailleurs ces tuyaux dans du mercure, jamais le mercure n’y montera. Pourquoi l’eau s’y introduit-elle donc ? pourquoi, malgré toutes les lois des fluides et des mécaniques, l’eau monte-t-elle dans un tube capillaire de quarante pieds, et monterait-elle dans un de mille pieds, si ce n’est qu’en effet cette eau est réellement attirée par ce verre et gravite vers lui au point de contact ? Il y a sur cela beaucoup de choses à dire et d’expériences à faire ; mais il faut partout reconnaître l’attraction, quel qu’en soit le principe, comme autrefois on était forcé d’admettre la réfraction sans en savoir la cause, comme on admet l’adhésion, l’élasticité, la fluidité, la direction de l’aimant, et même son espèce d’attraction sensible, sans qu’on sache les raisons de toutes ces propriétés de la matière. Toute la différence entre ces qualités et celles de l’attraction, c’est que la

  1. Quatre ans avant la mort de Voltaire, cette idée trouvait sa justification dans les expériences de Maskélyne, puis ultérieurement dans celles que Cavendish entreprit avec l’appareil que lui avait légué Mitchell. (D.)