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CONSEILS À UN JOURNALISTE.

pagne, nommé la Grèce, et du peuple romain qui, tout étendu et tout victorieux qu’il a été, n’a jamais eu sous sa domination tant d’États que le peuple de Mahomet, et qui n’a jamais conquis la dixième partie du monde.

Mais aussi que votre amour pour les langues étrangères ne vous fasse pas mépriser ce qui s’écrit dans votre patrie ; ne soyez point comme ce faux délicat à qui Pétrone fait dire :

Ales phasiacis petila Colchis,
Atque afrac volucres placent palato…
Quidquid quœritur optimum videtur.

On ne trouva[1] de poète français dans la bibliothèque de l’abbé de Longuerue qu’un tome de Malherbe. Je voudrais, encore une fois, en fait de belles-lettres, qu’on fût de tous les pays, mais surtout du sien, J’appliquerai à ce sujet des vers de M. de Lamotte, car il en a quelquefois fait d’excellents :

C’est par l’étude que nous sommes
Contemporains de tous les hommes,
Et citoyens de tous les lieux.


DU STYLE D’UN JOURNALISTE.

Quant au style d’un journaliste, Bayle est peut-être le premier modèle, s’il vous en faut un : c’est le plus profond dialecticien qui ait jamais écrit ; c’est presque le seul compilateur qui ait du goût. Cependant dans son style toujours clair et naturel, il y a trop de négligence, trop d’oubli des bienséances, trop d’incorrection. Il est diffus : il fait, à la vérité, conversation avec son lecteur comme Montaigne, et en cela il charme tout le monde ; mais il s’abandonne à une mollesse de style, et aux expressions triviales d’une conversation trop simple, et en cela il rebute souvent l’homme de goût.

En voici un exemple qui me tombe sous la main : c’est l’article d’Abailard, dans son Dictionnaire, « Abailard, dit-il, s’amusait beaucoup plus à tâtonner et à baiser son écolière qu’à lui expliquer un auteur. » Un tel défaut lui est trop familier, ne l’imitez pas.

  1. Il y a dans le Mercure : « On ne trouva dans la bibliothèque de l’abbé de Longuerue, après sa mort, aucun poëte français. Je voudrais, etc. »