Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome22.djvu/279

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
261
CONSEILS À UN JOURNALISTE.

ont vendu publiquement leurs scandales, comme Locuste vendait les poisons. Parmi ceux qui ont ainsi déshonoré les lettres et l’humanité, qu’il me soit permis d’en citer un qui, pour prix du plus grand service qu’un homme puisse peut-être rendre à un autre homme, s’est déclaré pendant tant d’années mon plus cruel ennemi. On l’a vu imprimer publiquement, distribuer et vendre lui-même un libelle infâme, digne de toute la sévérité des lois[1] ; on l’a vu ensuite, de la même main dont il avait écrit et distribué ces calomnies, les désavouer presque avec autant de honte qu’il les avait publiées, « Je me croirais déshonoré, dit-il dans sa déclaration donnée aux magistrats ; je me croirais déshonoré si j’avais eu la moindre part à ce libelle, entièrement calomnieux, écrit contre un homme pour qui j’ai tous les sentiments d’estime, etc. Signé : l’abbé Desfontaines. »

C’est à ces extrémités malheureuses qu’on est réduit lorsqu’on fait de l’art d’écrire un si détestable usage.

J’ai lu, dans un livre qui porte le titre de Journal, qu’il n’est pas étonnant que les jésuites prennent quelquefois le parti de l’illustre Wolf, parce que les jésuites sont tous athées.

Parlez avec courage contre ces exécrables injustices, et faites sentir à tous les auteurs de ces infamies que le mépris et l’horreur du public seront éternellement leur partage.


SUR LES LANGUES.

Il faut qu’en bon journaliste sache au moins l’anglais et l’italien : car il y a beaucoup d’ouvrages de génie dans ces langues, et le génie n’est presque jamais traduit. Ce sont, je crois, les deux langues de l’Europe les plus nécessaires à un Français. Les Italiens sont les premiers qui aient retiré les arts de la barbarie ; et il y a tant de grandeur, tant de force d’imagination jusque dans les fautes des Anglais, qu’on ne peut trop conseiller l’étude de leur langue.

Il est triste que le grec soit négligé en France ; mais il n’est pas permis à un journaliste de l’ignorer. Sans cette connaissance, il y a un grand nombre de mots français dont il n’aura jamais qu’une idée confuse : car, depuis l’arithmétique jusqu’à l’astronomie, quel est le terme d’art qui ne dérive pas de cette langue admirable ? À peine y a-t-il un muscle, une veine, un ligament dans notre corps, une maladie, un remède, dont le

  1. La Voltairomanie.