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CONSEILS À UN JOURNALISTE.

Un jour exigea de Lisandre
Trente moutons pour un baiser.

Le lendemain, nouvelle affaire ;
Pour le berger le troc fut bon,
Car il obtint de la bergère
Trente baisers pour un mouton.

Le lendemain, Phyllis plus tendre.
Craignant de déplaire au berger,
Fut trop heureuse de lui rendre
Trente moutons pour un baiser.

Le lendemain, Phyllis plus sage
Aurait donné moutons et chien
Pour un baiser que le volage
À Lisette donnait pour rien.

Comme vous n’avez pas tous les jours des livres nouveaux qui méritent votre examen, ces petits morceaux de littérature rempliront très-bien les vides de votre journal. S’il y a quelques ouvrages de prose ou de poésie qui fassent beaucoup de bruit dans Paris, qui partagent les esprits, et sur lesquels on souhaite une critique éclairée, c’est alors qu’il faut oser servir de maître au public sans le paraître ; et, le conduisant comme par la main, lui faire remarquer les beautés sans emphase et les défauts sans aigreur. C’est alors qu’on aime en vous cette critique, qu’on déteste et qu’on méprise dans d’autres.

Un de mes amis, examinant[1] trois épîtres de Rousseau, en vers dissyllabes[2], qui excitèrent beaucoup de murmure il y a quelque temps, fit de la seconde[3], où tous nos auteurs sont insultés, l’examen suivant, dont voici un échantillon qui paraît dicté par la justesse et la modération. Voici le commencement de la pièce qu’il examinait :

Tout institut, tout art, toute police,
Subordonnée au pouvoir du caprice,
Doit être aussi conséquemment pour tous
Subordonnée à nos différents goûts.

  1. Voyez l’Utile Examen qui précède.
  2. Les éditions de 1744, 1765, et l’édition encadrée de 1775, portent dissyllabes, et même dissillabes. Les éditeurs de Kehl et leurs successeurs ont mis décasyllabes.
  3. Épître à Thalie.