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CONSEILS À UN JOURNALISTE.

les lecteurs seraient charmés de voir sous leurs yeux la comparaison de quelques scènes de la Phèdre grecque, de la latine, de la française et de l’anglaise. C’est ainsi, à mon gré, que la sage et saine critique perfectionnerait encore le goût des Français, et peut-être de l’Europe. Mais quelle vraie critique avons-nous depuis celle que l’Académie française fit du Cid, et à laquelle il manque encore autant de choses qu’au Cid même ?


DES PIÈCES DE POÉSIE.

Vous répandrez beaucoup d’agrément sur votre journal si vous l’ornez de temps en temps de ces petites pièces fugitives marquées au bon coin, dont les portefeuilles des curieux sont remplis. On a des vers du duc de Nevers, du comte Antoine Hamilton, né en France[1], qui respirent tantôt le feu poétique, tantôt la douce facilité du style épistolaire. On a mille petits ouvrages charmants de MM. d’Ussé[2], de Saint-Aulaire, de Ferrand, de La Faye, de Fieubet, du président Hénault[3], et de tant d’autres. Ces sortes de petits ouvrages dont je vous parle suffisaient autrefois à faire la réputation des Voiture, des Sarrasin, des Chapelle. Ce mérite était rare alors. Aujourd’hui qu’il est plus répandu, il donne peut-être moins de réputation ; mais il ne fait pas moins de plaisir aux lecteurs délicats. Nos chansons valent mieux que celles d’Anacréon, et le nombre en est étonnant. On en trouve même qui joignent la morale avec la gaieté, et qui, annoncées avec art, n’aviliraient point du tout un journal sérieux. Ce serait perfectionner le goût, sans nuire aux mœurs[4], de rapporter une chanson aussi jolie que celle-ci, qui est de l’auteur du Double Veuvage[5] :

Phyllis, plus avare que tendre,
Ne gagnant rien à refuser,

  1. Antoine Hamilton a été élevé en France, mais est né en Irlande, vers 1040. Il mourut à Saint-Germain-en-Laye, en 1720. Voltaire, qui le croyait Français, l’a compris dans sa Liste des écrivains français, en tête du Siècle de Louis XIV ; voyez tome XIV.
  2. Le d’Ussé mentionné ici est sans doute celui à qui est adressée l’ode de J.-B. Rousseau (II, iv) :

    Esprit né pour servir d’exemple.

  3. C’est ainsi qu’on lit dans l’édition de 1705 ; le président Hénault vivait encore. L’édition de 1744 porte : de M. le président Hénault.
  4. La fin de cette phrase et la chanson furent ajoutées en 1765.
  5. Dufresny.