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CONSEILS À UN JOURNALISTE.

les traiterai comme Louis XIV[1], avec le respect qu’on doit aux têtes couronnées qui viennent de mourir, et avec le respect qu’on doit à la vérité, qui ne mourra jamais.


SUR LA COMÉDIE.

Venons aux belles-lettres, qui feront un des principaux articles de votre journal. Vous comptez parler beaucoup des pièces de théâtre. Ce projet est d’autant plus raisonnable que le théâtre est plus épuré parmi nous, et qu’il est devenu une école de mœurs. Vous vous gardez bien sans doute de suivre l’exemple de quelques écrivains périodiques, qui cherchent à rabaisser tous leurs contemporains, et à décourager les arts, dont un bon journaliste doit être le soutien. Il est juste de donner la préférence à Molière sur les comiques de tous les temps et de tous les pays ; mais ne donnez point d’exclusion. Imitez les sages Italiens, qui placent Raphaël au premier rang, mais qui admirent les Paul Véronèse, les Carrache, les Corrége, les Dominiquin, etc. Molière est le premier ; mais il serait injuste et ridicule de ne pas mettre le Joueur à côté de ses meilleures pièces. Refuser son estime aux Mènechmes, ne pas s’amuser beaucoup au Légataire universel, serait d’un homme sans justice et sans goût ; et qui ne se plaît pas à Regnard n’est pas digne d’admirer Molière.

Osez avouer avec courage que beaucoup de nos petites pièces, comme le Grondeur[2], le Galant Jardinier[3], la Pupille[4], le Double Veuvage[5], l’Esprit de contradiction[6], la Coquette de village[7], le Florentin[8], etc., sont au-dessus de la plupart des petites pièces de Molière ; je dis au-dessus pour la finesse des caractères, pour l’esprit dont la plupart sont assaisonnées, et même pour la bonne plaisanterie.

Je ne prétends point ici entrer dans le détail de tant de pièces nouvelles, ni déplaire à beaucoup de monde par des louanges données à peu d’écrivains, qui peut-être n’en seraient pas satisfaits ; mais je dirai hardiment : Quand on donnera des ouvrages pleins de mœurs et où l’on trouve de l’intérêt, comme le Préjugé à la mode ; quand les Français seront assez heureux pour qu’on leur donne une pièce telle que le Glorieux, gardez-vous bien de vouloir rabaisser leur succès, sous prétexte que ce ne sont pas des comédies dans le goût de Molière ; évitez ce malheureux entêtement,

  1. Ces trois mots, comme Louis quatorze, ne sont pas dans le Mercure.
  2. Par Brueys et Palaprat.
  3. Par Dancourt.
  4. Par Fagan.
  5. Par Dufresny.
  6. Par Dufresny.
  7. Par Dufresny.
  8. Par La Fontaine.