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CONSEILS À UN JOURNALISTE.

Le beau siècle de Louis XIV achève de perfectionner ce que Léon X, tous les Médicis, Charles-Quint, François Ier, avaient commencé. Je travaille depuis longtemps à l’histoire de ce dernier siècle[1], qui doit être l’exemple des siècles à venir ; j’essaye de faire voir le progrès de l’esprit humain, et de tous les arts, sous Louis XIV. Puissé-je, avant de mourir, laisser ce monument à la gloire de ma nation ! J’ai bien des matériaux pour élever cet édifice. Je ne manque point de Mémoires sur les avantages que le grand Colbert a procurés et voulait faire à la nation et au monde ; sur la vigilance infatigable, sur la prévoyance d’un ministre de la guerre[2] né pour être le ministre d’un conquérant ; sur les révolutions arrivées dans l’Europe ; sur la vie privée de Louis XIV, qui a été dans son domestique l’exemple des hommes, comme il a été quelquefois celui des rois. J’ai des Mémoires[3] sur des fautes inséparables de l’humanité, dont Je n’aime à parler que parce qu’elles font valoir les vertus ; et j’applique déjà à Louis XIV[4] ce beau mot d’Henri IV, qui disait à l’ambassadeur don Pèdre : « Quoi donc ! votre maître n’a-t-il pas assez de vertus pour avoir des défauts ? » Mais j’ai peur de n’avoir ni le temps ni la force de conduire ce grand ouvrage à sa fin.

Je vous prierai de bien faire sentir que si nos histoires modernes écrites par des contemporains sont plus certaines en général que toutes les histoires anciennes, elles sont quelquefois plus douteuses dans les détails. Je m’explique. Les hommes diffèrent entre eux d’état, de parti, de religion. Le guerrier, le magistrat, le janséniste, le moliniste[5], ne voient point les mêmes faits avec les mêmes yeux : c’est le vice de tous les temps. Un Carthaginois

    l’Amérique est découverte et conquise ; l’Europe s’enrichit des trésors du nouveau monde. Venise, qui faisait tout le commerce, perd cet avantage. Les Portugais passent le cap de Bonne-Espérance, établissent le commerce des grandes Indes par l’Océan. La Chine, Siam, deviennent des alliés des rois européans. Une nouvelle politique, qui fait la balance de l’Europe, élève une barrière insurmontable à l’ambition de la monarchie universelle.
    « Une nouvelle religion divise le monde chrétien de créance et d’intérêt. Les lettres, tous les beaux-arts, renaissent, brillent en Italie, et répandent quelque faible aurore sur la France, l’Angleterre et l’Espagne ; les langues de l’Europe et les mœurs se polissent. Enfin, c’est un nouveau chaos qui se débrouille, et d’où naît le monde chrétien tel qu’il est aujourd’hui. Le beau siècle de Louis XIV, etc. »

  1. Voyez les tomes XIV et XV.
  2. Louvois.
  3. L’édition de 1744 porte : « J’ose parler des fautes inséparables, etc. »
  4. Dans le Mercure, on lit : « à *** », au lieu de « à Louis XIV ».
  5. Dans le Mercure, au lieu de le janséniste, le moliniste, il y a seulement le***, le***.