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CONSEILS À UN JOURNALISTE.

SUR LA PHILOSOPHIE.

Vous savez assez de géométrie et de physique pour rendre un compte exact des livres de ce genre, et vous avez assez d’esprit pour en parler avec cet art qui leur ôte leurs épines, sans les charger de fleurs qui ne leur conviennent pas.

Je vous conseillerais surtout, quand vous ferez des extraits de philosophie, d’exposer d’abord au lecteur une espèce d’abrégé historique des opinions qu’on propose, ou des vérités qu’on établit. Par exemple, s’agit-il de l’opinion du vide : dites en deux mots comment Épicure croyait le prouver ; montrez comment Gassendi l’a rendu plus vraisemblable ; exposez les degrés infinis de probabilité que Newton a ajoutés enfin à cette opinion par ses raisonnements, par ses observations, et par ses calculs.

S’agit-il d’un ouvrage sur la nature de l’air : il est bon de montrer d’abord qu’Aristote et tous les philosophes ont connu sa pesanteur, mais non son degré de pesanteur. Beaucoup d’ignorants qui voudraient au moins savoir l’histoire des sciences, les gens du monde, les jeunes étudiants, verront avec avidité par quelle raison et par quelles expériences le grand Galilée combattit le premier l’erreur d’Aristote au sujet de l’air, avec quel art Torricelli le pesa, ainsi qu’on pèse un poids dans une balance ; comment on connut son ressort ; comment enfin les admirables expériences de MM. Hales et Boerhaave[1] ont découvert des effets de l’air, qu’on est presque forcé d’attribuer à des propriétés de la matière inconnues jusqu’à nos jours.

Paraît-il un livre hérissé de calculs et de problèmes sur la lumière ; quel plaisir ne faites-vous pas au public de lui montrer les faibles idées que l’éloquente et ignorante Grèce avait de la réfraction ; ce qu’en dit l’Arabe Alhazen, le seul géomètre de son temps ; ce que devine Antonio de Dominis ; ce que Descartes met habilement et géométriquement en usage, quoique en se trompant ; ce que découvre ce Grimaldi[2], qui a trop peu vécu ; enfin ce que Newton pousse jusqu’aux vérités les plus déliées et les plus hardies auxquelles l’esprit humain puisse atteindre, vérités qui nous

  1. Hales, physicien anglais né en 1761. Quant à Boerhaave (1668-1738), Voltaire fut en relations avec lui à Leyde, l’année même qu’il prétend donner ces conseils (1737). (G. A.)
  2. François-Marie Grimaldi, jésuite italien, mort en 1663. à l’âge d’environ cinquante ans, auteur de Physico mathesis de lumine, coloribus et iride, aliisque annexis.