Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome22.djvu/258

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
240
UTILE EXAMEN SUR LE SIEUR ROUSSEAU.

On trouve à chaque ligne de pareilles phrases. Ce n’est pas là, dit-on, le plus grand défaut qui y règne ; l’uniformité didactique est encore plus ennuyeuse que ces expressions ne sont révoltantes. Mais j’observerai que cette uniformité et ces termes vicieux partent du même principe, je veux dire du manque d’invention, du défaut d’idées : car celui qui a beaucoup d’idées nettes a certainement beaucoup d’idées différentes ; il exprime naturellement, et d’une manière variée, ce qu’il pense naturellement. Mais celui qui ne pense point ne peut varier son style, puisqu’en effet il n’a rien à dire.

Je ne connais effectivement rien de plus vide que ces trois Épîtres nouvelles. Mais le plus grand défaut que j’y trouve, c’est le manque de bienséance. Il me semble qu’un poëte qui, pour tous ouvrages de théâtre, a fait le Café, la Ceinture magique, Jason, Adonis, le Capricieux, le Flatteur, et surtout les Aïeux chimériques, ouvrages tous ignorés, devait au public le respect de parler avec modestie de l’art dramatique. Il faut avoir eu bien des succès pour être en droit de donner des leçons. Rien n’est si révoltant aux yeux des honnêtes gens qu’un homme qui donne des règles sur un métier auquel il n’a pas réussi.

C’est pécher encore davantage contre cette bienséance si nécessaire que de parler de sa vertu. Cet éloge de soi-même n’eût pas été souffert dans la vertu même. Quand on a eu le malheur de faire de très-grandes fautes[1] pour lesquelles on a été puni par les tribunaux suprêmes, on doit marquer pour toute vertu du repentir et de l’humilité.

Les jeunes auteurs doivent donc songer que les mauvaises mœurs sont encore plus dangereuses que le mauvais style ; ils doivent apprendre à imiter Boileau, non-seulement dans l’art d’écrire, mais même dans sa vie.

FIN DE L’UTILE EXAMEN DES TROIS DERNIÈRES ÉPÎTRES DU SIEUR ROUSSEAU.
  1. Sur la vertu, les fautes et la condamnation de J.-B. Rousseau, voyez tome XIV, dans le Catalogue des écrivains du Siècle de Louis XIV, les articles Lamotte, J.-B. Rousseau et Joseph Saurix ; dans les Mélanges, année 1738 (présent volume), la Vie de M. J.-B. Rousseau ; année 1762, l’Éloge de Crébillon ; dans la Correspondance, la lettre du 20 septembre 1730, au auteurs de la Bibliothèque française ; et, dans le tome X, l’Épître sur la calomnie, et la note où sont rapportés les regrets de Voltaire sur quelques expressions.