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FRAGMENT
D’UNE LETTRE SUR DIDON, TRAGÉDIE[1]


Plusieurs personnes ayant à l’envi rendu M. Lefranc de Pompignan célèbre, et tout Paris parlant de lui, j’ai voulu le lire ; j’ai trouvé sa Didon : je n’ai pu encore aller au delà de la première scène ; mais j’espère poursuivre avec le temps. Cette première scène m’a paru un chef-d’œuvre. Iarbe déclare d’abord

Que ses ambassadeurs irrités et confus
Trop souvent de la reine ont subi les refus :…
Qu’il contient cependant la fureur qui l’anime ;
Que déguisant encor son dépit légitime,
Pour la dernière fois en proie à ses hauteurs,
Il vient sous le faux nom de ses ambassadeurs,
Au milieu de la cour d’une reine étrangère,
D’un refus obstiné pénétrer le mystère ;
Que sait-il ? n’écouter qu’un transport amoureux,
Se découvrir lui-même, et déclarer ses feux.

Madherbal, officier de la reine étrangère, lui répond :

Vos feux ! que dites-vous ? ciel, quelle est ma surprise !

Ce Madherbal en effet peut être surpris, pour peu qu’il sache la langue française, que des ambassadeurs subissent des refus, etc. ; que le prince Iarbe,

En proie à des hauteurs,
Vienne sous le faux nom de ses ambassadeurs ;

  1. La tragédie de Didon, par Lefranc de Pompignan, jouée le 21 juin 1734, fut imprimée la même année ; l’approbation du censeur est du 29 septembre. Le Fragment d’une lettre a été écrit en 1736 (voyez la lettre à Thieriot, du 20 mars de cette année). Ce qui donna naissance à ce morceau fut le mauvais procédé de Lefranc, dont Voltaire nous parle, tome II du Théâtre, page 372.

    Depuis 1734, Lefranc de Pompignan a fait beaucoup de corrections à sa Didon et a changé presque tous les vers qu’a critiqués Voltaire.