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CHAPITRE VII.

point encore, et des espèces d’animaux qui ne réfléchissent jamais, consiste à vouloir et à opérer des mouvements seulement. Sur quel fondement a-t-on pu imaginer qu’il n’y a point de liberté ? Voici les causes de cette erreur : on a d’abord remarqué que nous avons souvent des passions violentes qui nous entraînent malgré nous. Un homme voudrait ne pas aimer une maîtresse infidèle, et ses désirs, plus forts que sa raison, le ramènent vers elle ; on s’emporte à des actions violentes dans des mouvements de colère qu’on ne peut maîtriser ; on souhaite de mener une vie tranquille, et l’ambition nous rejette dans le tumulte des affaires.

Tant de chaînes visibles, dont nous sommes accablés presque toute notre vie, ont fait croire que nous sommes liés de même dans tout le reste ; et on a dit : L’homme est tantôt emporté avec une rapidité et des secousses violentes dont il sent l’agitation ; tantôt il est mené par un mouvement paisible dont il n’est pas plus le maître : c’est un esclave qui ne sent pas toujours le poids et la flétrissure de ses fers, mais il est toujours esclave.

Ce raisonnement, qui n’est que la logique de la faiblesse humaine, est tout semblable à celui-ci : Les hommes sont malades quelquefois, donc ils n’ont jamais de santé.

Or, qui ne voit l’impertinence de cette conclusion ? qui ne voit au contraire que de sentir sa maladie est une preuve indubitable qu’on a eu de la santé, et que sentir son esclavage et son impuissance prouve invinciblement qu’on a eu de la puissance et de la liberté ?

Lorsque vous aviez cette passion furieuse, votre volonté n’était plus obéie par vos sens : alors vous n’étiez pas plus libre que lorsqu’une paralysie vous empêche de mouvoir ce bras que vous voulez remuer. Si un homme était toute sa vie dominé par des passions violentes, ou par des images qui occupassent sans cesse son cerveau, il lui manquerait cette partie de l’humanité qui consiste à pouvoir penser quelquefois ce qu’on veut ; et c’est le cas où sont plusieurs fous qu’on renferme, et même bien d’autres qu’on n’enferme pas.

Il est bien certain qu’il y a des hommes plus libres les uns que les autres, par la même raison que nous ne sommes pas tous également éclairés, également robustes, etc. La liberté est la santé de l’âme ; peu de gens ont cette santé entière et inaltérable. Notre liberté est faible et bornée, comme toutes nos autres facultés. Nous la fortifions en nous accoutumant à faire des réflexions, et cet exercice de l’âme la rend un peu plus vigoureuse. Mais quelques efforts que nous fassions, nous ne pourrons jamais