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SI CE QU’ON APPELLE ÂME EST IMMORTEL.

de cette disparate que l’on met sur le compte de Dieu. Il semble étrange à ma raison que Dieu ait fait croire aux hommes le pour et le contre ; mais si c’est un point de révélation où ma raison ne voit goutte, je me tais, et j’adore en silence. Ce n’est pas à moi d’examiner ce qui a été révélé ; je remarque seulement que ces livres révélés ne disent point que l’âme soit spirituelle : ils nous disent seulement qu’elle est immortelle. Je n’ai aucune peine à le croire ; car il paraît aussi possible à Dieu de l’avoir formée (de quelque nature qu’elle soit) pour la conserver que pour la détruire. Ce Dieu, qui peut, comme il lui plaît, conserver ou anéantir le mouvement d’un corps, peut assurément faire durer à jamais la faculté de penser dans une partie de ce corps ; s’il nous a dit en effet que cette partie est immortelle, il faut en être persuadé.

Mais de quoi cette âme est-elle faite ? C’est ce que l’Être suprême n’a pas jugé à propos d’apprendre aux hommes. N’ayant donc pour me conduire dans ces recherches que mes propres lumières, l’envie de connaître quelque chose, et la sincérité de mon cœur, je cherche avec sincérité ce que ma raison me peut découvrir par elle-même ; j’essaye ses forces, non pour la croire capable de porter tous ces poids immenses, mais pour la fortifier par cet exercice, et pour m’apprendre jusqu’où va son pouvoir. Ainsi, toujours prêt à céder dès que la révélation me présentera ses barrières, je continue mes réflexions et mes conjectures uniquement comme philosophe, jusqu’à ce que ma raison ne puisse plus avancer.


CHAPITRE VI.
si ce qu’on appelle âme est immortel.

Ce n’est pas ici le lieu d’examiner si en effet Dieu a révélé l’immortalité de l’âme. Je me suppose toujours un philosophe d’un autre monde que celui-ci, et qui ne juge que par ma raison. Cette raison m’a appris que toutes les idées des hommes et des animaux leur viennent par les sens ; et j’avoue que je ne peux m’empêcher de rire lorsqu’on me dit que les hommes auront encore des idées quand ils n’auront plus de sens. Lorsqu’un homme a perdu son nez, ce nez perdu n’est non plus une partie de lui-même que l’étoile polaire. Qu’il perde toutes ses parties et qu’il ne soit plus un homme, n’est-il pas un peu étrange alors de dire qu’il lui reste le résultat de tout ce qui a péri ? J’aimerais