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CHAPITRE IV.

nous est absolument impossible de connaître le secret de cette mécanique, parce que nous n’avons point d’instruments proportionnés à ses ressorts.


CHAPITRE IV.
qu’il y a en effet des objets extérieurs.

On n’aurait point songé à traiter cette question si les philosophes n’avaient cherché à douter des choses les plus claires, comme ils se sont flattés de connaître les plus douteuses.

Nos sens nous font avoir des idées, disent-ils ; mais peut-être que notre entendement reçoit ces perceptions sans qu’il y ait aucun objet au dehors. Nous savons que, pendant le sommeil, nous voyons et nous sentons des choses qui n’existent pas : peut-être notre vie est-elle un songe continuel, et la mort sera le moment de notre réveil, ou la fin d’un songe auquel nul réveil ne succédera.

Nos sens nous trompent dans la veille même ; la moindre altération dans nos organes nous fait voir quelquefois des objets et entendre des sons dont la cause n’est que dans le dérangement de notre corps : il est donc très-possible qu’il nous arrive toujours ce qui nous arrive quelquefois.

Ils ajoutent que quand nous voyons un objet, nous apercevons une couleur, une figure ; nous entendons des sons, et il nous a plu de nommer tout cela les modes de cet objet ; mais la substance de cet objet, quelle est-elle ? C’est là en effet que l’objet échappe à notre imagination : ce que nous nommons si hardiment la substance n’est en effet que l’assemblage de ces modes. Dépouillez cet arbre de cette couleur, de cette configuration qui vous donnait l’idée d’un arbre, que lui restera-t-il ? Or, ce que j’ai appelé modes, ce n’est autre chose que mes perceptions. Je puis bien dire : J’ai idée de la couleur verte et d’un corps tellement configuré ; mais je n’ai aucune preuve que ce corps et cette couleur existent : voilà ce que dit Sextus Empiricus[1] et à quoi il ne peut trouver de réponse.

Accordons pour un moment à ces messieurs encore plus qu’ils ne demandent : ils prétendent qu’on ne peut leur prouver qu’il y a des corps ; passons-leur qu’ils prouvent eux-mêmes qu’il n’y a point de corps. Que s’ensuivra-t-il de là ? Nous conduirons-nous

  1. Dans ses Hypolyposes, qui ont été traduites en français par Huart, en 1725.