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CHAPITRE III.

il faudra avancer qu’il y a une âme du monde qui se répand dans les corps organisés, et alors il faudra que cette âme soit autre chose que le monde. Ainsi, de quelque côté qu’on se tourne, on ne trouve que des chimères qui se détruisent.

Les matérialistes doivent encore soutenir que le mouvement est essentiel à la matière. Ils sont par là réduits à dire que le mouvement n’a jamais pu ni ne pourra jamais augmenter ni diminuer ; ils seront forcés d’avancer que cent mille hommes qui marchent à la fois, et cent coups de canon que l’on tire, ne produisent aucun mouvement nouveau dans la nature. Il faudra encore qu’ils assurent qu’il n’y a aucune liberté, et, par là, qu’ils détruisent tous les liens de la société, et qu’ils croient une fatalité tout aussi difficile à comprendre que la liberté, mais qu’eux-mêmes démentent dans la pratique. Qu’un lecteur équitable, ayant mûrement pesé le pour et le contre de l’existence d’un Dieu créateur, voie à présent de quel côté est la vraisemblance.

Après nous être ainsi traînés de doute en doute, et de conclusion en conclusion, jusqu’à pouvoir regarder cette proposition Il y a un Dieu comme la chose la plus vraisemblable que les hommes puissent penser, et après avoir vu que la proposition contraire est une des plus absurdes, il semble naturel de rechercher quelle relation il y a entre Dieu et nous ; de voir si Dieu a établi des lois pour les êtres pensants, comme il y a des lois mécaniques pour les êtres matériels ; d’examiner s’il y a une morale, et ce qu’elle peut être ; s’il y a une religion établie par Dieu même. Ces questions sont sans doute d’une importance à qui tout cède, et les recherches dans lesquelles nous amusons notre vie sont bien frivoles en comparaison ; mais ces questions seront plus à leur place quand nous considérerons l’homme comme un animal sociable.

Examinons d’abord comment lui viennent ses idées, et comme il pense, avant de voir quel usage il fait ou il doit faire de ses pensées.


CHAPITRE III.
que toutes les idées viennent par les sens.

Quiconque se rendra un compte fidèle de tout ce qui s’est passé dans son entendement avouera sans peine que ses sens lui ont fourni toutes ses idées ; mais des philosophes[1] qui ont abusé

  1. Descartes.