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CHAPITRE II.

n’était pas nécessaire que telles lois fussent préférées à d’autres. Il n’était pas nécessaire que la terre fût placée où elle est ; aucune loi mathématique ne peut agir par elle-même ; aucune n’agit sans mouvement, le mouvement n’existe point par lui-même : donc il faut recourir à un premier moteur. J’avoue que les planètes, placées à telle distance du soleil, doivent parcourir leurs orbites selon les lois qu’elles observent, que même leur distance peut être réglée par la quantité de matière qu’elles renferment. Mais pourra-t-on dire qu’il était nécessaire qu’il y eût une telle quantité de matière dans chaque planète, qu’il y eût un certain nombre d’étoiles, que ce nombre ne peut être augmenté ni diminué, que sur la terre il est d’une nécessité absolue et inhérente dans la nature des choses qu’il y eût un certain nombre d’êtres ? Non, sans doute, puisque ce nombre change tous les jours : donc toute la nature, depuis l’étoile la plus éloignée jusqu’à un brin d’herbe, doit être soumise à un premier moteur.

Quant à ce qu’on objecte, qu’un pré n’est pas essentiellement fait pour des chevaux, etc., on ne peut conclure de là qu’il n’y ait point de cause finale, mais seulement que nous ne connaissons pas toutes les causes finales. Il faut ici surtout raisonner de bonne foi, et ne point chercher à se tromper soi-même ; quand on voit une chose qui a toujours le même effet, qui n’a uniquement que cet effet, qui est composée d’une infinité d’organes, dans lesquels il y a une infinité de mouvements qui tous concourent à la même production, il me semble qu’on ne peut, sans une secrète répugnance, nier une cause finale. Le germe de tous les végétaux, de tous les animaux, est dans ce cas : ne faut-il pas être un peu hardi pour dire que tout cela ne se rapporte à aucune fin ?

Je conviens qu’il n’y a point de démonstration proprement dite qui prouve que l’estomac est fait pour digérer, comme il n’y a point de démonstration qu’il fait jour ; mais les matérialistes sont bien loin de pouvoir démontrer aussi que l’estomac n’est pas fait pour digérer. Qu’on juge seulement avec équité, comme on juge des choses dans le cours ordinaire, quelle est l’opinion la plus probable.

À l’égard des reproches d’injustice et de cruauté qu’on fait à Dieu, je réponds d’abord que, supposé qu’il y ait un mal moral (ce qui me paraît une chimère), ce mal moral est tout aussi impossible à expliquer dans le système de la matière que dans celui d’un Dieu. Je réponds ensuite que nous n’avons d’autres idées de la justice que celles que nous nous sommes formées de toute