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CHAPITRE II.

Voici avec autant de brièveté les objections qu’on peut faire à ce système.

difficultés sur l’existence de dieu.

1° Si Dieu n’est pas ce monde matériel, il l’a créé (ou bien, si vous voulez, il a donné à quelque autre être le pouvoir de le créer, ce qui revient au même); mais, en faisant ce monde, ou il l’a tiré du néant, ou il l’a tiré de son propre être divin. Il ne peut l’avoir tiré du néant, qui n’est rien ; il ne peut l’avoir tiré de soi, puisque ce monde en ce cas serait essentiellement partie de l’essence divine : donc je ne puis avoir d’idée de la création, donc je ne dois point admettre la création.

2° Dieu aurait fait ce monde ou nécessairement ou librement : s’il l’a fait par nécessité, il a dû toujours l’avoir fait, car cette nécessité est éternelle ; donc, en ce cas, le monde serait éternel, et créé, ce qui implique contradiction. Si Dieu l’a fait librement par pur choix, sans aucune raison antécédente, c’est encore une contradiction : car c’est se contredire que de supposer l’Être infiniment sage faisant tout sans aucune raison qui le détermine, et l’Être infiniment puissant ayant passé une éternité sans faire le moindre usage de sa puissance.

3° S’il paraît à la plupart des hommes qu’un être intelligent a imprimé le sceau de la sagesse sur toute la nature, et que chaque chose semble être faite pour une certaine fin, il est encore plus vrai aux yeux des philosophes que tout se fait dans la nature par les lois éternelles, indépendantes et immuables des mathématiques ; la construction et la durée du corps humain sont une suite de l’équilibre des liqueurs et de la force des leviers. Plus on fait de découvertes dans la structure de l’univers, plus on le trouve arrangé, depuis les étoiles jusqu’au ciron, selon les lois mathématiques. Il est donc permis de croire que ces lois ayant opéré par leur nature, il en résulte des effets nécessaires que l’on prend pour les déterminations arbitraires d’un pouvoir intelligent. Par exemple, un champ produit de l’herbe parce que telle est la nature de son terrain arrosé par la pluie, et non pas parce qu’il y a des chevaux qui ont besoin de foin et d’avoine ; ainsi du reste.

4° Si l’arrangement des parties de ce monde, et tout ce qui se passe parmi les êtres qui ont la vie sentante et pensante, prouvait un Créateur et un maître, il prouverait encore mieux un être barbare : car, si l’on admet des causes finales, on sera obligé