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SUR LE COMTE DE ROCHESTER ET M. WALLER.

l’homme de génie et le grand poëte. Entre autres ouvrages qui brillaient de cette imagination ardente qui n’appartenait qu’à lui, il a fait quelques satires sur les mêmes sujets que notre célèbre Despréaux avait choisis. Je ne sais rien de plus utile, pour se perfectionner le goût, que la comparaison des grands génies qui se sont exercés sur les mêmes matières.

Voici comme M. Despréaux parle contre la raison humaine, dans sa satire sur l’homme :

Cependant, à le voir, plein de vapeurs légères,
Soi-même se bercer de ses propres chimères,
Lui seul de la nature est la base et l’appui,
Et le dixième Ciel ne tourne que pour lui.
De tous les animaux il est ici le maître ;
Qui pourrait le nier, poursuis-tu ?
Moi, peut-être :
Ce maître prétendu qui leur donne des lois,
Ce Roi des animaux, combien a-t-il de Rois ?

Voici à peu près comme s’exprime le comte de Rochester, dans sa satire sur l’homme ; mais il faut que le lecteur se ressouvienne toujours que ce sont ici des traductions libres de poètes anglais, et que la gêne de notre versification et les bienséances délicates de notre langue ne peuvent donner l’équivalent de la licence impétueuse du style anglais.

Cet esprit que je hais, cet esprit plein d’erreur,
Ce n’est pas ma raison, c’est la tienne, Docteur ;
C’est ta raison frivole, inquiète, orgueilleuse,
Des sages animaux rivale dédaigneuse
Qui croit entre eux et l’Ange occuper le milieu,
Et pense être ici-bas l’image de son Dieu,
Vil atome importun, qui croit, doute, dispute,
Rampe, s’élève, tombe, et nie encor sa chute ;
Qui nous dit : « Je suis libre, en nous montrant ses fers,
Et dont l’œil trouble et faux croit percer l’Univers.
Allez, révérends fous, bienheureux fanatiques !
Compilez bien l’amas de vos riens scolastiques !
Pères de visions et d’énigmes sacrés,
Auteurs du labyrinthe où vous vous égarez,
Allez obscurément éclaircir vos mystères,
Et courez dans l’école adorer vos chimères !
Il est d’autres erreurs : il est de ces dévots,
Condamnés par eux-même à l’ennui du repos.
Ce mystique encloîtré, fier de son indolence,
Tranquille au sein de Dieu, qu’y peut-il faire ? Il pense.