Avec une simple aiguille à tête ? qui voudrait porter ces fardeaux.
Sangloter, suer sous une fatigante vie ?
Mais cette crainte de quelque chose après la mort,
Ce pays ignoré, des bornes duquel
Nul voyageur ne revient, embarrasse la volonté.
Et nous fait supporter les maux que nous avons,
Plutôt que de courir vers d’autres que nous ne connaissons pas.
Ainsi la conscience fait des poltrons de nous tous ;
Ainsi la couleur naturelle de la résolution
Est ternie par les pâles teintes de la pensée ;
Et les entreprises les plus importantes,
Par ce respect, tournent leur courant de travers,
Et perdent leur nom d’action…
Ne croyez pas que j’aie rendu ici l’anglais mot pour mot ; malheur aux faiseurs de traductions littérales, qui, traduisant chaque parole, énervent le sens ! C’est bien là qu’on peut dire que la lettre tue, et que l’esprit vivifie[1].
Voici encore un passage d’un fameux tragique anglais[2] : c’est Dryden, poëte du temps de Charles II, auteur plus fécond que judicieux, qui aurait une réputation sans mélange s’il n’avait fait que la dixième partie de ses ouvrages[3].
Ce morceau commence ainsi :
When I consider life, t’is ail a cheat,
Yet fool’d by hope men favour the deceit.
De desseins en regrets, et d’erreurs en désirs,
Les mortels insensés promènent leur folie.
Dans des malheurs présents, dans l’espoir des plaisirs,
Nous ne vivons jamais, nous attendons la vie.
Demain, demain, dit-on, va combler tous nos vœux ;
Demain vient, et nous laisse encor plus malheureux.
Quelle est l’erreur, hélas ! du soin qui nous dévore ?
Nul de nous ne voudrait recommencer son cours :
De nos premiers moments nous maudissons l’aurore,
Et de la nuit qui vient nous attendons encore
Ce qu’ont en vain promis les plus beaux de nos jours, etc.
C’est dans ces morceaux détachés que les tragiques anglais ont jusqu’ici excellé ; leurs pièces, presque toutes barbares,