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LETTRE XV.

avait dit : Eh quoi ! ils auraient donc la tête en bas, et ils tomberaient dans le ciel. Les docteurs disaient à Copernic : Si la terre tournait sur elle-même, toutes ses parties se détacheraient et tomberaient dans le ciel. Il est certain que la terre tourne, répondit Copernic, et que ses parties ne s’envolent pas ; il faut donc qu’une puissance les dirige toutes vers le centre de la terre ; et probablement, dit-il, cette propriété existe dans tous les globes, dans le soleil, dans la lune, dans les étoiles ; c’est un attribut donné à la matière par la divine Providence. C’est ainsi qu’il s’explique dans son premier livre Des Révolutions célestes, sans avoir osé ni peut-être pu aller plus loin.

Kepler, qui suivit Copernic et qui perfectionna l’admirable découverte du vrai système du monde, approcha un peu du système de la pesanteur universelle. On voit, dans son traité de l’étoile de Mars, des veines encore mal formées de cette mine dont Newton a tiré son or. Kepler admet non-seulement une tendance de tous les corps terrestres au centre, mais aussi des astres les uns vers les autres. Il ose entrevoir et dire que si la terre et la lune n’étaient pas retenues dans leurs orbites, elles s’approcheraient l’une de l’autre, elles s’uniraient. Cette vérité étonnante était obscurcie chez lui de tant de nuages et de tant d’erreurs qu’on a dit qu’il l’avait devinée par instinct.

Cependant le grand Galilée, partant d’un principe plus mécanique, examinait quelle est la chute des corps sur la terre ; comment et en quelle proportion cette chute s’accélère ; et le chancelier Bacon voulait qu’on expérimentât si ces chutes se faisaient également aux plus grandes profondeurs et aux plus grandes hauteurs où l’on pût atteindre.

Il est bien singulier que Descartes, le plus grand géomètre de son temps, ne se soit pas servi de ce fil dans le labyrinthe qu’il s’était bâti lui-même. On ne trouve nulle trace de ces vérités dans ses ouvrages ; aussi n’est-il pas surprenant qu’il se soit égaré. Il voulut créer un univers. Il fit une philosophie comme on fait un bon roman : tout parut vraisemblable, et rien ne fut vrai. Il imagina des éléments, des tourbillons, qui semblaient rendre une raison plausible de tous les mystères de la nature ; mais en philosophie il faut se défier de ce qu’on croit entendre trop aisément aussi bien que des choses qu’on n’entend pas. Descartes était plus dangereux qu’Aristote parce qu’il avait l’air d’être plus raisonnable. M. Conduit, neveu du chevalier Newton, m’a assuré que son oncle avait lu Descartes à l’âge de vingt ans, qu’il crayonna les marges des premières pages, et qu’il n’y mit qu’une seule note,