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l’histoire de cette nouvelle propriété de la matière, devinée longtemps avant Newton, et démontrée par lui ; c’est donner en quelque sorte l’histoire d’une création nouvelle.

Copernic, ce Christophe Colomb de l’astronomie, avait à peine appris aux hommes le véritable ordre de l’univers, si longtemps défiguré ; il avait à peine fait voir que la terre tourne, et sur elle-même et dans un espace immense, lorsque tous les docteurs firent à peu près les mêmes objections que leurs devanciers avaient faites contre les antipodes. Saint Augustin, en niant ces antipodes,

    ment autour de la planète. Quand tout cela est fait, on prétend que la pesanteur dépend de ce mouvement journalier ; car, dit-on, la matière subtile qui tourne autour de notre petit tourbillon doit aller dix-sept fois plus vite que la terre ; or, si elle va dix-sept fois plus vite que la terre, elle doit avoir incomparablement plus de force centrifuge, et repousser par conséquent tous les corps vers la terre. Voilà la cause de la pesanteur, dans le système cartésien.
    « Mais avant que de calculer la force centrifuge et la vitesse de cette matière subtile, il fallait s’assurer qu’elle existât, et supposé qu’elle existe, il est encore démontré faux qu’elle puisse être la cause de la pesanteur.
    « M. Newton semble anéantir sans ressource tous ces tourbillons, grands et petits, et celui qui emporte les planètes autour du soleil, et celui qui fait tourner chaque planète sur elle-même.
    « 1° À l’égard du prétendu petit tourbillon de la terre, il est prouvé qu’il doit perdre petit à petit son mouvement ; il est prouvé que si la terre nage dans un fluide, ce fluide doit être de la même densité que la terre, et si ce fluide est de la même densité, tous les corps que nous remuons doivent éprouver une résistance extrême, c’est-à-dire qu’il faudrait un levier de la longueur de la terre pour soulever le poids d’une livre.
    « 2° À l’égard des grands tourbillons, ils sont encore plus chimériques. Il est impossible de les accorder avec les règles de Kepler, dont la vérité est démontrée. M. Newton fait voir que la révolution du fluide dans lequel Jupiter est supposé entraîné, n’est pas avec la révolution du fluide de la terre comme la révolution de Jupiter est avec celle de la terre.
    « Il prouve que, toutes les planètes faisant leurs révolutions dans des ellipses, et par conséquent étant bien plus éloignées les unes des autres dans leurs aphélies et bien plus proches dans leurs périhélies, la terre, par exemple, devrait aller plus vite quand elle est plus près de Vénus et de Mars, puisque le fluide qui l’emporte, étant alors plus pressé, doit avoir plus de mouvement ; et cependant c’est alors même que le mouvement de la terre est plus ralenti.
    « Il prouve qu’il n’y a point de matière céleste qui aille d’Occident en Orient, puisque les comètes traversent ces espaces tantôt de l’Orient à l’Occident, tantôt du Septentrion au Midi.
    « Enfin pour mieux trancher encore, s’il est possible, toute difficulté, il prouve ou du moins rend fort probable, et même par des expériences, que le plein est impossible, et il nous ramène le vide, qu’Aristote et Descartes avaient banni du monde.
    « Ayant, par toutes ces raisons et par beaucoup d’autres encore, renversé les tourbillons du cartésianisme, il désespérait de pouvoir connaître jamais s’il y a un principe secret dans la nature, qui cause à la fois le mouvement de tous les corps célestes et qui fait la pesanteur sur la terre. S’étant retiré en 1666 à la campagne, près de Cambridge, etc. »