Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome22.djvu/150

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


Descartes donna la vue aux aveugles ; ils virent les fautes de l’Antiquité et les siennes. La route qu’il ouvrit est, depuis lui, devenue immense. Le petit livre de Rohault[1] a fait pendant quelque temps une physique complète ; aujourd’hui, tous les recueils des académies de l’Europe ne font pas même un commencement de système : en approfondissant cet abîme, il s’est trouvé infini. Il s’agit maintenant de voir ce que M. Newton a creusé dans ce précipice[2].


LETTRE XV[3].

histoire de l’attraction.

Je n’entrerai point ici dans une explication mathématique de ce qu’on appelle l’attraction, ou la gravitation : je me borne à

  1. Traité de physique, par Rohault, 1671, in-4o, réimprimé en 1682, deux volumes in-12.
  2. La dernière phrase n’était pas dans l’édition de Kehl, et sa suppression remonte en 1739 ; mais son rétablissement est une conséquence du rétablissement des Lettres philosophiques en corps d’ouvrage. (B.)
  3. Je n’ai pu trouver ni cette lettre, ni la suivante, dans les éditions des Œuvres de Voltaire faites à Kehl.
    Le texte actuel que je donne est de 1752. Il diffère un peu des éditions de 1751, 1748, 1746, 1742, 1739. Cette lettre était, en 1734, intitulée Sur le Système de l’attraction et commençait ainsi :
    « Les découvertes su chevalier Newton, qui lui ont fait une réputation si universelle, regardent le système du monde, la lumière, l’infini en géométrie, et enfin la chronologie, à laquelle il s’est amusé pour se délasser.
    « Je vais vous dire (si je puis, sans verbiage) le peu que j’ai pu attraper de toutes ces sublimes idées.
    « À l’égard du système de notre monde, on disputait depuis longtemps sur la cause qui fait tourner et qui retient dans leurs orbites toutes les planètes, et sur celle qui fait descendre ici-bas tous les corps vers la surface de la terre.
    « Le système de Descartes, expliqué et fort changé depuis lui, semblait rendre une raison plausible de ces phénomènes, et cette raison paraissait d’autant plus vraie qu’elle est simple et intelligible à tout le monde. Mais, en philosophie, il faut se défier de ce qu’on croit entendre trop aisément, aussi bien que des choses qu’on n’entend pas.
    « La pesanteur, la chute accélérée des corps tombant sur la terre, la révolution des planètes dans leurs orbites, leurs rotations autour de leur axe, tout cela n’est que du mouvement ; or, le mouvement ne peut être conçu que par impulsion ; donc tous ces corps sont poussés. Mais par quoi le sont-ils ? Tout l’espace est plein ; donc il est rempli d’une matière très subtile, puisque nous ne l’apercevons pas ; donc cette matière va d’Occident en Orient, puisque c’est d’Occident en Orient que toutes les planètes sont entraînées. Aussi, de supposition en supposition et de vraisemblance en vraisemblance, on a imaginé un vaste tourbillon de matière subtile, dans lequel les planètes sont entraînées autour du soleil ; on crée encore un autre tourbillon particulier, qui nage dans le grand, et qui tourne journelle-