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l’univers, non à ceux qui le défigurent, que nous devons nos respects.

[1]Le fameux comte de Verulam, connu en Europe sous le nom de Bacon, qui était son nom de famille. Il était fils d’un garde des Sceaux, et fut longtemps chancelier sous le roi Jacques Ier. Cependant, au milieu des intrigues de la cour et des occupations de sa charge, qui demandaient un homme tout entier, il trouva le temps d’être grand philosophe, bon historien et écrivain élégant ; et ce qui est encore plus étonnant, c’est qu’il vivait dans un siècle où l’on ne connaissait guère l’art de bien écrire, encore moins la bonne philosophie. Il a été, comme c’est l’usage parmi les hommes, plus estimé après sa mort que de son vivant : ses ennemis étaient à la cour de Londres ; ses admirateurs étaient[2] les étrangers. Lorsque le marquis d’Effiat amena en Angleterre la princesse Marie, fille de Henri le Grand, qui devait épouser[3] le roi Charles, ce ministre alla visiter Bacon, qui, alors étant malade au lit, le reçut les rideaux fermés. « Vous ressemblez aux anges, lui dit d’Effiat ; on entend toujours parler d’eux, on les croit bien supérieurs aux hommes, et on n’a jamais la consolation de les voir. »

On sait comment Bacon[4] fut accusé d’un crime qui n’est guère d’un philosophe, de s’être laissé corrompre par argent. On sait comment[5] il fut condamné par la Chambre des Pairs à une amende d’environ quatre cent mille livres de notre monnaie, à perdre sa dignité de chancelier et de pair.

Aujourd’hui, les Anglais révèrent sa mémoire au point[6] qu’à peine avouent-ils qu’il ait été coupable. Si on me demande[7] ce que j’en pense, je me servirai, pour vous répondre, d’un mot que j’ai ouï dire à milord Bolingbroke[8]. On parlait, en sa présence, de l’avarice dont le duc de Marlborough avait été accusé, et on en

  1. 1734. « Puis donc que vous exigez que je vous parle des hommes célèbres qu’a portés l’Angleterre, je commencerai par les Bacon, les Locke, les Newton, etc. Les généraux et les ministres viendront à leur tour.
    Il faut commencer par le fameux comte de Verulam, connu en Europe sous le nom de Bacon, qui était son nom de famille. Il était fils, etc. »
    — Bacon n’était pas comte, mais baron de Verulam et vicomte de Saint-Alban. On voit que Voltaire a corrigé son erreur sur la qualité de comte.
  2. 1734. « étaient dans toute l’Europe. »
  3. 1734. « Épouser le prince de Galles. »
  4. 1734. « Vous savez, Monsieur, comment »
  5. 1734. « vous savez comment. »
  6. 1734. « au point qu’ils ne veulent point avouer qu’il ait été. »
  7. 1734. « Si vous me demandez. »
  8. Voltaire pratiqua ce lord en France et en Angleterre. Bolingbroke fut son premier maître en philosophie.