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LETTRE VIII.

Il en a coûté sans doute pour établir la liberté en Angleterre ; c’est dans des mers de sang qu’on a noyé l’idole du pouvoir despotique ; mais les Anglais ne croient point avoir acheté trop cher leurs lois[1]. Les autres nations n’ont pas eu moins de troubles, n’ont pas versé moins de sang qu’eux : mais ce sang qu’elles ont répandu pour la cause de leur liberté n’a fait que cimenter leur servitude.

Ce qui devient une révolution en Angleterre n’est qu’une sédition dans les autres pays. Une ville prend les armes pour défendre ses privilèges, soit en Espagne, soit en Barbarie, soit en Turquie : aussitôt des soldats mercenaires la subjuguent, des bourreaux la punissent, et le reste de la nation baise ses chaînes. Les Français pensent que le gouvernement de cette île est plus orageux que la mer qui l’environne, et cela est vrai : mais c’est quand le roi commence la tempête, c’est quand il veut se rendre le maître du vaisseau dont il n’est que le premier pilote. Les guerres civiles de France ont été plus longues, plus cruelles, plus fécondes eu crimes, que celles d’Angleterre ; mais de toutes ces guerres civiles aucune n’a eu une liberté sage pour objet.

Dans les temps détestables de Charles IX et de Henri III, il s’agissait seulement de savoir si on serait l’esclave des Guises. Pour la dernière guerre de Paris[2], elle ne mérite que des sifflets ; il me semble que je vois des écoliers qui se mutinent contre le préfet d’un collège, et qui finissent par être fouettés ; le cardinal de Retz, avec beaucoup d’esprit et de courage mal employés, rebelle sans aucun sujet, factieux sans dessein, chef de parti sans armée, cabalait pour cabaler, et semblait faire la guerre civile pour son plaisir. Le parlement ne savait ce qu’il voulait, ni ce qu’il ne voulait pas ; il levait des troupes par arrêt, il les cassait, il menaçait et demandait pardon ; il mettait à prix la tête du cardinal Mazarin, et ensuite venait le complimenter en cérémonie : nos guerres civiles sous Charles VI avaient été cruelles, celles de la Ligue furent abominables, celle de la Fronde fut ridicule.

Ce qu’on reproche le plus en France aux Anglais, c’est le supplice de Charles Ier monarque digne d’un meilleur sort, qui fut traité par ses vainqueurs comme il les eût traités s’il eût été heureux[3].

  1. 1734. « Trop cher de bonnes lois. »
  2. La Fronde.
  3. Dans l’édition de 1734, on lit : « Ce qu’on reproche le plus en France aux Anglais, c’est le supplice de Charles Ier, qui fut traité par ses vainqueurs comme il les eût traités s’il eût été heureux. » Dans une édition de 1739, il y a : « Ce