Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome22.djvu/106

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
88
LETTRE III.

Alors il m’accabla de citations de l’Écriture qui démontraient, selon lui, qu’il n’y a point de christianisme sans une révélation immédiate, et il ajouta ces paroles remarquables : « Quand tu fais mouvoir un de tes membres, est-ce ta propre force qui le remue ? Non, sans doute, car ce membre a souvent des mouvements involontaires. C’est donc celui qui a créé ton corps qui meut ce corps de terre. Et les idées que reçoit ton âme, est-ce toi qui les formes ? Encore moins, car elles viennent malgré toi. C’est donc le Créateur de ton âme qui te donne ces idées ; mais, comme il a laissé à ton cœur la liberté, il donne à ton esprit les idées que ton cœur mérite ; tu vis dans Dieu, tu agis, tu penses dans Dieu : tu n’as donc qu’à ouvrir les yeux à cette lumière qui éclaire tous les hommes, alors tu verras la vérité, et la feras voir. — Eh ! voilà le P. Malebranche tout pur ! m’écriai-je. — Je connais ton Malebranche, dit-il, il était un peu quaker, mais il ne l’était pas assez. »

Ce sont là les choses les plus importantes que j’ai apprises touchant la doctrine des quakers. Dans la première lettre, vous aurez leur histoire, que vous trouverez encore plus singulière que leur doctrine.


LETTRE III[1].

sur les quakers.

Vous avez déjà vu[2] que les quakers datent depuis Jésus-Christ, qui[3], selon eux, est le premier quaker, La religion, disent-ils, fut corrompue presque après sa mort, et resta dans cette corruption environ seize cents années ; mais il y avait toujours quelques quakers cachés dans le monde, qui prenaient soin de conserver le feu sacré éteint partout ailleurs, jusqu’à ce qu’enfin cette lumière s’étendit en Angleterre en l’an 1642.

Ce fut dans le temps que trois ou quatre sectes déchiraient la Grande-Bretagne par des guerres civiles entreprises au nom de Dieu qu’un nommé George Fox, du comté de Leicester[4] fils d’un ouvrier en soie, s’avisa de prêcher en vrai apôtre, à ce qu’il prétendait, c’est-à-dire sans savoir ni lire ni écrire ; c’était un jeune

  1. Cette lettre et la quatrième formaient dans les éditions de Kehl, la seconde section de l’article Quakers du Dictionnaire philosophique (voyez tome XX, page 311.).
  2. Page 83.
  3. 1734. « Qui fut, selon eux. »
  4. 1734. « Licester. »