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rien contester ; il n’y a rien à gagner avec un enthousiaste : il ne faut point s’aviser de dire à un homme les défauts de sa maîtresse, ni à un plaideur le faible de sa cause, ni des raisons à un illuminé ; ainsi je passai à d’autres questions.

« À l’égard de la Communion, lui dis−je, comment en usez−vous ? − Nous n’en usons point, dit−il. − Quoi ! point de Communion ? − Non, point d’autre que celle des cœurs. Alors il me cita encore les Écritures. Il me fit un fort beau sermon contre la Communion, et me parla d’un ton inspiré pour me prouver que tous les Sacrements étaient tous d’invention humaine, et que le mot de Sacrement ne se trouvait pas une seule fois dans l’Évangile. « Pardonne, dit−il, à mon ignorance, je ne t’ai pas apporté la centième partie des preuves de ma religion ; mais tu peux les voir dans l’Exposition de notre foi par Robert Barclay[1] : c’est un des meilleurs livres qui soient jamais sortis de la main des hommes. Nos ennemis conviennent qu’il est très dangereux, cela prouve combien il est raisonnable. Je lui promis de lire ce livre, et mon quaker me crut déjà converti.

Ensuite il me rendit raison en peu de mots de quelques singularités qui exposent cette secte au mépris des autres. « Avoue, dit−il, que tu as bien eu[2]de la peine à t’empêcher de rire quand j’ai répondu à toutes tes civilités avec mon chapeau sur la tête[3] et en te tutoyant ; cependant tu me parais trop instruit pour ignorer que du temps du Christ aucune nation ne tombait dans le ridicule de substituer le pluriel au singulier. On disait à César Auguste : je t’aime, je te prie, je te remercie ; il ne souffrait pas même qu’on l’appelât monsieur, dominus. Ce ne fut que très longtemps après lui que les hommes s’avisèrent de se faire appeler vous au lieu de tu, comme s’ils étaient doubles, et d’usurper les titres impertinents de Grandeur, d’Éminence, de Sainteté[4], de divinité même, que des vers de terre donnent à d’autres vers de terre, en les assurant qu’ils sont, avec un profond respect et une fausseté infâme, leurs très humbles et très obéissants serviteurs. C’est pour être plus sur nos gardes contre cet indigne commerce de mensonges et de flatteries que nous tutoyons également les rois[5] et les charbonniers, que nous ne saluons personne, n’ayant pour les hommes que de la charité, et du respect que pour les lois.

  1. Voyez, ci-après la lettre III.
  2. 1734. « Eu bien. »
  3. 1734. « Sur ma tête. »
  4. 1734. « De sainteté, que des vers. »
  5. 1734. « Les rois et les savetiers. »