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pontife au lever de l’étoile Algénib. De là elle passa chez le troisième et chez le quatrième prêtre, prenant toujours une signature, et donnant un rendez-vous d’étoile en étoile. Alors elle fit avertir les juges de venir chez elle pour une affaire importante. Ils s’y rendirent : elle leur montra les quatre noms, et leur dit à quel prix les prêtres avaient vendu la grâce de Zadig. Chacun d’eux arriva à l’heure prescrite ; chacun fut bien étonné d’y trouver ses confrères, et plus encore d’y trouver les juges, devant qui leur honte fut manifestée. Zadig fut sauvé. Sétoc fut si charmé de l’habileté d’Almona, qu’il en fit sa femme[1].


CHAPITRE XIV[2].
LA DANSE.

Sétoc devait aller, pour les affaires de son commerce, dans l’île de Serendib ; mais le premier mois de son mariage, qui est, comme on sait, la lune du Miel, ne lui permettait ni de quitter sa femme, ni de croire qu’il pût jamais la quitter : il pria son ami Zadig de faire pour lui le voyage. « Hélas ! disait Zadig, faut-il que je mette encore un plus vaste espace entre la belle Astarté et moi ? mais il faut servir mes bienfaiteurs. » Il dit, il pleura, et il partit.

Il ne fut pas longtemps dans l’île de Serendib sans y être regardé comme un homme extraordinaire. Il devint l’arbitre de tous les différents entre les négociants, l’ami des sages, le conseil du petit nombre de gens qui prennent conseil. Le roi voulut le voir et l’entendre. Il connut bientôt tout ce que valait Zadig ; il

  1. Dans l’édition de 1748 et dans toutes celles qui l’ont suivie, jusques à l’édition de Kehl exclusivement, ce chapitre se terminait ainsi : « Zadig partit après s’être jeté aux pieds de sa belle libératrice. Sétoc et lui se quittèrent en pleurant, en se jurant une amitié éternelle, et en se promettant que le premier des deux qui ferait une grande fortune en ferait part à l’autre.

    Zadig marcha du côté de la Syrie, toujours pensant à la malheureuse Astarté, et toujours réfléchissant sur le sort qui s’obstinait à se jouer de lui et à le persécuter. « Quoi ! disait-il, quatre cents onces d’or pour avoir vu passer une chienne ! condamné à être décapité pour quatre mauvais vers à la louange du roi ! prêt à être étranglé parce que la reine avait des babouches de la couleur de mon bonnet ! réduit en esclavage pour avoir secouru une femme qu’on battait ; et sur le point d’être brûlé pour avoir sauvé la vie à toutes les jeunes veuves arabes ! »

    Venait ensuite ce qui forme aujourd’hui le chapitre xvi.

  2. Ce chapitre est posthume. Il fut publié pour la première fois par les éditeurs de Kehl, qui durent changer la fin du précédent.