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Je voudrais, mon cher ami, que vous eussiez été témoin de l’effet que firent les discours de Freind sur tous les Anglais et sur tous les Américains. Birton, si évaporé et si audacieux, prit tout à coup un air recueilli et modeste ; Jenni, les yeux mouillés de larmes, se jeta aux genoux de son père, et son père l’embrassa. Voici enfin la dernière scène de cette dispute si épineuse et si intéressante.


CHAPITRE XI.

DE L’ATHÉISME.


BIRTON.

Je conçois bien que le grand Être, le maître de la nature, est éternel ; mais nous, qui n’étions pas hier, pouvons-nous avoir la folle hardiesse de prétendre à une éternité future ? Tout périt sans retour autour de nous, depuis l’insecte dévoré par l’hirondelle jusqu’à l’éléphant mangé des vers.

FREIND.

Non, rien ne périt, tout change ; les germes impalpables des animaux et des végétaux subsistent, se développent, et perpétuent les espèces. Pourquoi ne voudriez-vous pas que Dieu conservât le principe qui vous fait agir et penser, de quelque nature qu’il puisse être ? Dieu me garde de faire un système, mais certainement il y a dans nous quelque chose qui pense et qui veut : ce quelque chose, que l’on appelait autrefois une monade, ce quelque chose est imperceptible. Dieu nous l’a donné, ou peut-être, pour parler plus juste, Dieu nous a donnés à lui. Êtes-vous bien sûr qu’il ne peut la conserver ? Songez, examinez ; pouvez-vous m’en fournir quelque démonstration ?

BIRTON.

Non ; j’en ai cherché dans mon entendement, dans tous les livres des athées, et surtout dans le troisième chant de Lucrèce ; j’avoue que je n’ai jamais trouvé que des vraisemblances.

FREIND.

Et, sur ces simples vraisemblances, nous nous abandonnerions à toutes nos passions funestes ! Nous vivrions en brutes, n’ayant pour règle que nos appétits, et pour frein que la crainte des autres hommes rendus éternellement ennemis les uns des autres par cette crainte mutuelle ! car on veut toujours détruire ce qu’on craint. Pensez-y bien, monsieur Birton ; réfléchissez-y sérieusement, mon fils Jenni : n’attendre de Dieu ni châtiment