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physique, souvenons-nous que l’existence de Dieu est démontrée ; il n’y a plus à disputer sur son existence. Ôtez Dieu au monde, l’assassinat de Charles Ier en devient-il plus légitime ? Son bourreau vous en sera-t-il plus cher ? Dieu existe, il suffit ; s’il existe, il est juste : soyez donc justes.

BIRTON.

Votre petit argument sur le concours de Dieu a de la finesse et de la force, quoiqu’il ne disculpe pas Dieu entièrement d’être l’auteur du mal physique et du mal moral. Je vois que la manière dont vous excusez Dieu fait quelque impression sur l’assemblée ; mais ne pouvait-il pas faire en sorte que ses lois générales n’entraînassent pas tant de malheurs particuliers ? Vous m’avez prouvé un Être éternel et puissant, et, Dieu me pardonne ! j’ai craint un moment que vous ne me fissiez croire en Dieu ; mais j’ai de terribles objections à vous faire. Allons, Jenni, prenons courage ; ne nous laissons point abattre[1].

Et vous, monsieur Freind, qui parlez si bien, avez-vous lu le livre intitulé le Bon Sens[2] ?

FREIND.

Oui, je l’ai lu, et je ne suis point de ceux qui condamnent tout dans leurs adversaires. Il y a dans ce livre des vérités bien exposées ; mais elles sont gâtées par un grand défaut. L’auteur veut continuellement détruire le dieu de Scot, d’Albert, de Bonaventure, le dieu des ridicules scolastiques et des moines. Remarquez qu’il n’ose pas dire un mot contre le dieu de Socrate, de Platon, d’Épictète, de Marc-Aurèle ; contre le dieu de Newton et de Locke, j’ose dire contre le mien. Il perd son temps à déclamer contre des superstitions absurdes et abominables dont tous les honnêtes gens sentent aujourd’hui le ridicule et l’horreur. C’est comme si on écrivait contre la nature parce que les tourbillons de Descartes l’ont défiguré ; c’est comme si on disait que le bon goût n’existe pas parce que la plupart des auteurs n’ont point de goût. Celui qui a fait le livre du Bon Sens croit avoir attaqué Dieu ; et, en cela, il manque tout à fait de bon sens ; il n’a écrit que contre certains prêtres anciens et modernes. Croit-il avoir

  1. C’est ici que finit ce chapitre dans les éditions de 1775 et 1776. (B.)
  2. Ouvrage qui parut en même temps que le Système de la nature. M. de Voltaire a grande raison. L’auteur de cet ouvrage prouve très-bien que la plupart des philosophes, en voulant pénétrer la nature de Dieu, en ont donné des idées absurdes ; mais cela ne détruit point les preuves de son existence, qui peuvent être tirées de l’ordre de l’univers. (K.) — Le Système de la nature est de 1770 ; voyez tome XVIII, pages 97 et suiv., et 374. Le Bon Sens ou Idées naturelles opposées aux idées surnaturelles, 1772, in-12, est aussi attribué au baron d’Holbach.