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Sherloc dira en peu de mots au bon Parouba ce qu’étaient les gens dont je parle. J’ai heureusement mon Épictète dans ma poche : cet Épictète n’était qu’un esclave, mais égal à Marc-Aurèle par ses sentiments. Écoutez, et puissent tous ceux qui se mêlent d’enseigner les hommes écouter ce qu’Épictète se dit à lui-même ! « C’est Dieu qui m’a créé, je le porte dans moi ; oserais-je le déshonorer par des pensées infâmes, par des actions criminelles, par d’indignes désirs ? » Sa vie fut conforme à ses discours. Marc-Aurèle, sur le trône de l’Europe et de deux autres parties de notre hémisphère, ne pensa pas autrement que l’esclave Épictète : l’un ne fut jamais humilié de sa bassesse, l’autre ne fut jamais ébloui de sa grandeur ; et, quand ils écrivirent leurs pensées, ce fut pour eux-mêmes et pour leurs disciples, et non pour être loués dans des journaux. Et, à votre avis, Locke, Newton, Tillotson, Penn, Clarke, le bonhomme qu’on appelle the man of Ross[1], tant d’autres dans notre île et hors de notre île, que je pourrais vous citer, n’ont-ils pas été des modèles de vertu ?

Vous m’avez parlé, monsieur Birton, des guerres aussi cruelles qu’injustes dont tant de nations se sont rendues coupables ; vous avez peint les abominations des chrétiens au Mexique et au Pérou, vous pouvez y ajouter la Saint-Barthélemy de France, et les massacres d’Irlande ; mais n’est-il pas des peuples entiers qui ont toujours eu l’effusion du sang en horreur ? Les brachmanes n’ont-ils pas donné de tout temps cet exemple au monde ? Et, sans sortir du pays où nous sommes, n’avons-nous pas auprès de nous la Pensylvanie, où nos primitifs, qu’on défigure en vain par le nom de quakers, ont toujours détesté la guerre ? N’avons-nous pas la Caroline, où le grand Locke a dicté ses lois ? Dans ces deux parties de la vertu, tous les citoyens sont égaux, toutes les consciences sont libres, toutes les religions sont bonnes pourvu qu’on adore un Dieu ; tous les hommes y sont frères. Vous avez vu, monsieur Birton, comme au seul nom d’un descendant de Penn les habitants des montagnes bleues, qui pouvaient vous exterminer, ont mis bas les armes. Ils ont senti ce que c’est que la vertu, et vous vous obstinez à l’ignorer ! Si la terre produit des poisons comme des aliments salutaires, voudrez-vous ne vous nourrir que de poisons ?

BIRTON.

Ah ! monsieur, pourquoi tant de poisons ? Si Dieu a tout fait,

  1. Jean Kyrl, né en 1634, mort en 1724, que Pope (troisième épître) appelle l’homme de Ross.