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Mes amis, souvenez-vous toujours qu’il existe un Être suprême ; je vous l’ai prouvé, vous en êtes convenus, et, après avoir été forcés d’avouer qu’il est, vous vous efforcez de lui chercher des imperfections, des vices, des méchancetés.

Je suis bien loin de vous dire, comme certains raisonneurs, que les maux particuliers forment le bien général. Cette extravagance est trop ridicule. Je conviens avec douleur qu’il y a beaucoup de mal moral et de mal physique ; mais, puisque l’existence de Dieu est certaine, il est aussi très-certain que tous ces maux ne peuvent empêcher que Dieu existe. Il ne peut être méchant, car quel intérêt aurait-il à l’être ? Il y a des maux horribles, mes amis ; eh bien ! n’en augmentons pas le nombre. Il est impossible qu’un Dieu ne soit pas bon ; mais les hommes sont pervers : ils font un détestable usage de la liberté que ce grand Être leur a donnée et dû leur donner, c’est-à-dire la puissance d’exécuter leurs volontés, sans quoi ils ne seraient que de pures machines formées par un être méchant pour être brisées par lui.

Tous les Espagnols éclairés conviennent qu’un petit nombre de leurs ancêtres abusa de cette liberté jusqu’à commettre des crimes qui font frémir la nature. Don Carlos, second du nom (de qui M. l’archiduc puisse être le successeur !), a réparé, autant qu’il a pu, les atrocités auxquelles les Espagnols s’abandonnèrent sous Ferdinand et sous Charles-Quint.

Mes amis, si le crime est sur la terre, la vertu y est aussi.

BIRTON.

Ha ! ha ! ha ! la vertu ! voilà une plaisante idée ; pardieu ! je voudrais bien savoir comment la vertu est faite, et où l’on peut la trouver.


À ces paroles je ne me contins pas ; j’interrompis Birton à mon tour. « Vous la trouverez chez M. Freind, lui dis-je, chez le bon Parouba, chez vous-même, quand vous aurez nettoyé votre cœur des vices qui le couvrent. » Il rougit, Jenni aussi ; puis Jenni baissa les yeux, et parut sentir des remords. Son père le regarda avec quelque compassion, et poursuivit ainsi son discours :


FREIND.

Oui, mes chers amis, il y eut toujours des vertus, s’il y eut des crimes. Athènes vit des Socrate, si elle vit des Anitus ; Rome eut des Caton, si elle eut des Sylla ; Caligula, Néron, effrayèrent la terre par leurs atrocités ; mais Titus, Trajan, Antonin le Pieux, Marc-Aurèle, la consolèrent par leur bienfaisance : mon ami