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On a beau nous dire que ces montagnes de deux mille toises de hauteur ne sont rien par rapport à la terre, qui a trois milles lieues de diamètre ; que c’est un grain de la peau d’une orange sur la rondeur de ce fruit, que ce n’est pas un pied sur trois mille. Hélas ! qui sommes-nous donc, si les hautes montagnes ne font sur la terre que la figure d’un pied sur trois mille pieds, et de quatre pouces sur neuf mille pieds ? Nous sommes donc des animaux absolument imperceptibles ; et cependant nous sommes écrasés par tout ce qui nous environne, quoique notre infinie petitesse, si voisine du néant, semblât devoir nous mettre à l’abri de tous les accidents. Après cette innombrable quantité de villes détruites, rebâties et détruites encore comme des fourmilières, que dirons-nous de ces mers de sable qui traversent le milieu de l’Afrique, et dont les vagues brûlantes, amoncelées par les vents, ont englouti des armées entières ? À quoi servent ces vastes déserts à côté de la belle Syrie ? déserts si affreux, si inhabitables, que ces animaux féroces appelés Juifs se crurent dans le paradis terrestre quand ils passèrent de ces lieux d’horreur dans un coin de terre dont on pouvait cultiver quelques arpents.

Ce n’est pas encore assez que l’homme, cette noble créature, ait été si mal logé, si mal vêtu, si mal nourri pendant tant de siècles ; il naît entre de l’urine et de la matière fécale pour respirer deux jours ; et, pendant ces deux jours, composés d’espérances trompeuses et de chagrins réels, son corps, formés avec un art inutile, est en proie à tous les maux qui résultent de cet art même : il vit entre la peste et la vérole ; la source de son être est empoisonnée ; il n’y a personne qui puisse mettre dans sa mémoire la liste de toutes les maladies qui nous poursuivent ; et le médecin des urines en Suisse prétend les guérir toutes !


Pendant que Birton parlait ainsi, la compagnie était tout attentive et tout émue ; le bonhomme Parouba disait : « Voyons comme notre docteur se tirera de là ». Jenni même laissa échapper ces paroles à voix basse : « Ma foi, il a raison ; j’étais bien sot de m’être laissé toucher des discours de mon père. » M. Freind laissa passer cette première bordée, qui frappait toutes les imaginations, puis il dit :


Un jeune théologien répondrait par des sophismes à ce torrent de tristes vérités, et vous citerait saint Basile et saint Cyrille qui n’ont que faire ici ; pour moi, messieurs, je vous avouerai sans détour qu’il y a beaucoup de mal physique sur la terre ; je n’en