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une vérité dont personne n’a jamais douté. Votre Bible même dit expressément que votre dieu fit le ciel et la terre[1], quoique le ciel, c’est-à-dire l’assemblage de tous les astres, soit beaucoup plus supérieur à la terre que cette terre ne l’est au plus petit des grains de sable ; mais votre Bible n’a jamais dit que Dieu fit le ciel et la terre avec rien du tout : elle ne prétend point que le Seigneur ait fait la femme de rien. Il la pétrit fort singulièrement d’une côte qu’il arracha à son mari. Le chaos existait, selon la Bible même, avant la terre : donc la matière était aussi éternelle que votre dieu.


Il s’éleva alors un petit murmure dans l’assemblée ; on disait : « Birton pourrait bien avoir raison » ; mais Freind répondit :


Je vous ai, je pense, prouvé qu’il existe une intelligence suprême, une puissance éternelle à qui nous devons une vie passagère : je ne vous ai point promis de vous expliquer le pourquoi et le comment. Dieu m’a donné assez de raison pour comprendre qu’il existe, mais non pas assez pour savoir au juste si la matière lui a été éternellement soumise, ou s’il l’a fait naître dans le temps. Que vous importe l’éternité ou la création de la matière, pourvu que vous reconnaissiez un dieu, un maître de la matière et de vous ? Vous me demandez où Dieu est : je n’en sais rien ; et je ne le dois pas savoir. Je sais qu’il est ; je sais qu’il est notre maître, qu’il fait tout, que nous devons tout attendre de sa bonté.

BIRTON.

De sa bonté ! vous vous moquez de moi. Vous m’avez dit : Servez-vous de vos yeux ; et moi je vous dis : Servez-vous des vôtres. Jetez seulement un coup d’œil sur la terre entière, et jugez si votre dieu serait bon.


M. Freind sentit bien que c’était là le fort de la dispute, et que Birton lui préparait un rude assaut ; il s’aperçut que les auditeurs, et surtout les Américains, avaient besoin de prendre haleine pour écouter, et lui pour parler. Il se recommanda à Dieu ; on alla se promener sur le tillac ; on prit ensuite du thé dans le yacht, et la dispute réglée recommença.

  1. Genèse, I, i.