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Ne vous tourmentez pas à m’étaler cet ordre constant qui règne dans toutes les parties de l’univers : il faut bien que tout ce qui existe soit dans un ordre quelconque ; il faut bien que la matière plus rare s’élève sur la plus massive, que le plus fort en tout sens presse le plus faible, que ce qui est poussé avec plus de mouvement coure plus vite ; tout s’arrange ainsi de soi-même. Vous auriez beau, après avoir bu une pinte de vin comme Esdras, me parler comme lui neuf cent soixante heures de suite sans fermer la bouche, je ne vous en croirais pas davantage. Voudriez-vous que j’adoptasse un Être éternel, infini et immuable, qui s’est plu, dans je ne sais quel temps, à créer de rien des choses qui changent à tout moment, et à faire des araignées pour éventrer des mouches ? Voudriez-vous que je disse, avec ce bavard impertinent de Nieuwentyt, que « Dieu nous a donné des oreilles pour avoir la foi, parce que la foi vient par ouï-dire » ? Non, non, je ne croirai point à des charlatans qui ont vendu cher leurs drogues à des imbéciles ; je m’en tiens au petit livre d’un frenchman qui dit que rien n’existe et ne peut exister, sinon la nature ; que la nature fait tout, que la nature est tout, qu’il est impossible et contradictoire qu’il existe quelque chose au delà du tout ; en un mot, je ne crois qu’à la nature[1].

FREIND.

Et si je vous disais qu’il n’y a point de nature, et que dans nous, autour de nous, et à cent mille millions de lieues, tout est art sans aucune exception.

BIRTON.

Comment ! tout est art ! en voici bien d’une autre !

FREIND.

Presque personne n’y prend garde ; cependant rien n’est plus vrai. Je vous dirai toujours : Servez-vous de vos yeux, et vous reconnaîtrez, vous adorerez un Dieu. Songez comment ces globes immenses, que vous voyez rouler dans leur immense carrière, observent les lois d’une profonde mathématique : il y a donc un grand Mathématicien que Platon appelait l’éternel Géomètre. Vous admirez ces machines d’une nouvelle invention, qu’on appelle oreri, parce que milord Orery les a mises à la mode en protégeant l’ouvrier par ses libéralités : c’est une très-faible copie de notre monde planétaire et de ses révolutions. La période même du changement des solstices et des équinoxes, qui nous amène

  1. Il s’agit du Système de la nature, fort postérieur au siège de Barcelone et aux aventures de Jenni. (K.) — Voyez la note 2 de la page 567.