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apôtres où Pierre soit regardé comme le maître de ses compagnons et du paulo-post-futur.

LE BACHELIER.

Mais certainement saint Pierre fut archevêque de Rome, car Sanchez nous enseigne que ce grand homme y arriva du temps de Néron, et qu’il y occupa le trône archiépiscopal pendant vingt-cinq ans sous ce même Néron, qui n’en régna que treize. De plus il est de foi ; et c’est don Grillandus[1], le prototype de l’Inquisition, qui l’affirme (car nous ne lisons jamais la sainte Bible), il est de foi, dis-je, que saint Pierre était à Rome une certaine année ; car il date une de ses lettres de Babylone ; car, puisque Babylone est visiblement l’anagramme de Rome, il est clair que le pape est de droit divin le maître de toute la terre ; car, de plus, tous les licenciés de Salamanque ont démontré que Simon Vertu-Dieu, premier sorcier, conseiller d’État de l’empereur Néron, envoya faire des compliments par son chien à saint Simon Barjone, autrement dit saint Pierre, dès qu’il fut à Rome ; que saint Pierre, n’étant pas moins poli, envoya aussi son chien complimenter Simon Vertu-Dieu ; qu’ensuite ils jouèrent à qui ressusciterait le plus tôt un cousin germain de Néron[2] ; que Simon Vertu-Dieu ne ressuscita son mort qu’à moitié, et que Simon Barjone gagna la partie en ressuscitant le cousin tout à fait ; que Vertu-Dieu voulut avoir sa revanche en volant dans les airs comme saint Dédale, et que saint Pierre lui cassa les deux jambes en le faisant tomber. C’est pourquoi saint Pierre reçut la couronne du martyre, la tête en bas et les jambes en haut[3] : donc il est démontré a posteriori que notre saint-père le pape doit régner sur tous ceux qui ont des couronnes sur la tête, et qu’il est le maître du passé, du présent, et de tous les futurs du monde.

FREIND.

Il est clair que toutes ces choses arrivèrent dans le temps où Hercule, d’un tour de main, sépara les deux montagnes, Calpé et Abila, et passa le détroit de Gibraltar dans son gobelet[4] ; mais ce n’est pas sur ces histoires, tout authentiques qu’elles sont, que nous fondons notre religion : c’est sur l’Évangile.

  1. Paul Grillandus (beau nom pour un inquisiteur, dit Voltaire, tome XVII, note 1, p. 346) est auteur d’un Tractatus de hœreticis et sortilegiis, Lyon, 1536, in-8o.
  2. Voyez tome XI, page 224.
  3. Toute cette histoire est racontée par Abdias, Marcel et Hégésippe ; Eusèbe en rapporte une partie. (Note de Voltaire.) — Voyez la Relation de Marcel dans la Collection d’anciens évangiles (Mélanges, année 1769).
  4. Voyez, dans les Mélanges, année 1769, les Adorateurs.