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une énorme corbeille remplie d’oignons sacrés, qui n’étaient pas tout à fait des dieux, mais qui leur ressemblaient beaucoup.

Aux deux côtés de cette file de dieux suivis d’un peuple innombrable, marchaient quarante mille guerriers, le casque en tête, le cimeterre sur la cuisse gauche, le carquois sur l’épaule, l’arc à la main.

Tous les prêtres chantaient en chœur avec une harmonie qui élevait l’âme et qui l’attendrissait :

Notre bœuf est au tombeau,
Nous en aurons un plus beau.

Et, à chaque pause, on entendait résonner les sistres, les castagnettes, les tambours de basque, les psaltérions, les cornemuses, les harpes, et les sambuques.


CHAPITRE XI.
COMMENT LA PRINCESSE ÉPOUSA SON BŒUF.


Amasis, roi de Tanis, surpris de ce spectacle, ne coupa point le cou à sa fille : il remit son cimeterre dans son fourreau. Mambrès lui dit : « Grand roi ! l’ordre des choses est changé ; il faut que Votre Majesté donne l’exemple. Ô roi ! déliez vous-même promptement le taureau blanc, et soyez le premier à l’adorer. » Amasis obéit, et se prosterna avec tout son peuple. Le grand prêtre de Memphis présenta au nouveau bœuf Apis la première poignée de foin. La princesse Amaside attachait à ses belles cornes des festons de roses, d’anémones, de renoncules, de tulipes, d’œillets et d’hyacinthes. Elle prenait la liberté de le baiser, mais avec un profond respect. Les prêtres jonchaient de palmes et de fleurs le chemin par lequel on le conduisait à Memphis ; et le sage Mambrès, faisant toujours ses réflexions, disait tout bas à son ami le serpent : « Daniel a changé cet homme en bœuf, et j’ai changé ce bœuf en dieu. »

On s’en retournait à Memphis dans le même ordre. Le roi de Tanis, tout confus, suivait la marche. Mambrès, l’air serein et recueilli, était à son côté. La vieille suivait tout émerveillée ; elle était accompagnée du serpent, du chien, de l’ânesse, du corbeau, de la colombe, et du bouc émissaire. Le grand poisson remontait le Nil. Daniel, Ézéchiel, et Jérémie, transformés en pies, fermaient la marche.