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entreprise fort dangereuse. Si j’étais à votre place, je laisserais là le taureau, l’ânesse, le serpent, le poisson, le chien, le bouc, le corbeau, et la colombe. Mais la passion vous emporte ; tout ce que je puis faire est d’en avoir pitié, et de trembler. »

La princesse le conjura de lui procurer un tête-à-tête avec le serpent. Mambrès, qui était bon, y consentit ; et, en réfléchissant toujours profondément, il alla trouver sa pythonisse. Il lui exposa la fantaisie de sa princesse avec tant d’insinuation qu’il la persuada.

La vieille lui dit donc qu’Amaside était la maîtresse ; que le serpent savait très-bien vivre ; qu’il était fort poli avec les dames ; qu’il ne demandait pas mieux que de les obliger, et qu’il se trouverait au rendez-vous.

Le vieux mage revint apporter à la princesse cette bonne nouvelle ; mais il craignait encore quelque malheur, et faisait toujours ses réflexions. « Vous voulez parler au serpent, madame ; ce sera quand il plaira à Votre Altesse. Souvenez-vous qu’il faut beaucoup le flatter, car tout animal est pétri d’amour-propre, et surtout lui. On dit même qu’il fut chassé autrefois d’un beau lieu pour son excès d’orgueil.

— Je ne l’ai jamais ouï dire, repartit la princesse.

— Je le crois bien, reprit le vieillard. » Alors il lui apprit tous les bruits qui avaient couru sur ce serpent si fameux. « Mais, madame, quelque aventure singulière qui lui soit arrivée, vous ne pouvez arracher son secret qu’en le flattant. Il passe dans un pays voisin pour avoir joué autrefois un tour pendable aux femmes ; il est juste qu’à son tour une femme le séduise.

— J’y ferai mon possible », dit la princesse.

Elle partit donc avec ses dames du palais et le bon mage eunuque. La vieille alors faisait paître le taureau blanc assez loin. Mambrès laissa Amaside en liberté, et alla entretenir sa pythonisse. La dame d’honneur causa avec l’ânesse ; les dames de compagnie s’amusèrent avec le bouc, le chien, le corbeau, et la colombe. Pour le gros poisson, qui faisait peur à tout le monde, il se replongea dans le Nil par ordre de la vieille.

Le serpent alla aussitôt au-devant de la belle Amaside dans le bocage, et ils eurent ensemble cette conversation :

LE SERPENT.

Vous ne sauriez croire combien je suis flatté, madame, de l’honneur que Votre Altesse daigne me faire.

LA PRINCESSE.

Monsieur, votre grande réputation, la finesse de votre physionomie, et le brillant de vos yeux, m’ont aisément déterminée à