Au bout de quelques jours les muses eurent pitié de cette pauvre race : elles sont bonnes, quoiqu’elles fassent sentir quelquefois leur colère aux méchants ; elles supplièrent donc leur mère de rendre à ces blasphémateurs la mémoire, qu’elle leur avait ôtée. Mnémosyne descendit au séjour des contraires, dans lequel on l’avait insultée avec tant de témérité, et leur parla en ces mots :
« Imbéciles, je vous pardonne ; mais ressouvenez-vous que sans les sens il n’y a point de mémoire, et que sans la mémoire il n’y a point d’esprit. »
Les dicastériques la remercièrent assez sèchement, et arrêtèrent qu’on lui ferait des remontrances. Les séjanistes mirent toute cette aventure dans leur gazette ; on s’aperçut qu’ils n’étaient pas encore guéris. Les liolisteois en firent une intrigue de cour. Maître Cogé, tout ébahi de l’aventure, et n’y entendant rien, dit à ses écoliers de cinquième ce bel axiome. « Non magis musis quam hominibus infensa est ista quæ vocatur memoria[1]. »
- ↑ Ce conte est une allusion aux arrêts du Parlement, aux censures de la Sorbonne, aux libelles des jansénistes, aux intrigues des jésuites, en faveur des idées innées, que tous avaient combattues dans leur nouveauté ; on sait qu’il est de la nature des théologiens de persécuter les opinions philosophiques de leur siècle, et d’arranger leur religion sur les opinions philosophiques du siècle précédent. (K.)
— Quant à l’axiome de Cogé, voyez le Discours de Me Belleguier (dans les Mélanges, année 1773).