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est violent, car on n’en revient guère ; plus, il jure qu’il a été un jour et une nuit au fond de la mer. Je le plains beaucoup : mais, en récompense, il a été ravi au troisième ciel. Je t’avoue, illuminé Shastasid, que je voudrais en faire autant, dussé-je acheter cette gloire par cent quatre-vingt-quinze coups de verges bien appliqués sur le derrière :

Il est beau qu’un mortel jusques aux cieux s’élève ;
Il est beau même d’en tomber,

comme dit un de nos plus aimables poètes indiens, qui est quelquefois sublime[1].

Enfin je vois qu’on a conduit comme moi Paul à Roume pour être jugé. Quoi donc ! mon cher Shastasid, Roume a donc jugé tous les mortels dans tous les temps ? Il faut certainement qu’il y ait dans cette ville quelque chose de supérieur au reste de la terre : tous les gens qui sont dans le vaisseau ne jurent que par Roume ; on faisait tout à Goa au nom de Roume.

Je te dirai bien plus, le Dieu de notre aumônier Fa molto, qui est le même que celui de Fa tutto, naquit et mourut dans un pays dépendant de Roume, et il paya le tribut au zamorain qui régnait dans cette ville. Tout cela ne te paraît-il pas bien surprenant ? Pour moi, je crois rêver, et que tous les gens qui m’entourent rêvent aussi.

Notre aumônier Fa molto nous a lu des choses encore plus merveilleuses. Tantôt c’est un âne qui parle, tantôt c’est un de leurs saints qui passe trois jours et trois nuits dans le ventre d’une baleine, et qui en sort de fort mauvaise humeur. Ici c’est un prédicateur qui s’en va prêcher dans le ciel, monté sur un char de feu traîné par quatre chevaux de feu ; un docteur passe la mer à pied sec, suivi de deux ou trois millions d’hommes qui s’enfuient avec lui ; un autre docteur arrête le soleil et la lune ; mais cela ne me surprend point : tu m’as appris que Bacchus en avait fait autant.

Ce qui me fait le plus de peine, à moi qui me pique de propreté et d’une grande pudeur, c’est que le dieu de ces gens-là ordonne à un de ses prédicateurs[2] de manger de la matière louable sur son pain ; et à un autre, de coucher pour de l’argent avec des filles de joie[3], et d’en avoir des enfants.

  1. Quinault, Phaeton, IV, ii.
  2. Voyez Ézéchiel, chapitre iv. (Note de Voltaire.)
  3. Osée, chapitre ier. (Id.)