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spectres. » Don Jéronimo le juste a dit : « Je dois interroger Amabed, Adaté, Déra, et le P. Fa tutto. — Interroger un inquisiteur, un dominicain ! s’est écrié le chef des spectres ; c’est un sacrilège : scommunicao, scommunicao[1] ! » On dit que ce sont des mots terribles, et qu’un homme sur qui on les a prononcés meurt ordinairement au bout de trois jours.

Les deux partis se sont échauffés ; ils étaient prêts d’en venir aux mains ; enfin ils s’en sont rapportés à l’obispo de Goa. Un obispo est à peu près parmi ces barbares ce que tu es chez les enfants de Brama ; c’est un intendant de leur religion ; il est vêtu de violet, et il porte aux mains des souliers violets[2] ; il a sur la tête, les jours de cérémonie, un pain de sucre fendu en deux. Cet homme a décidé que les deux partis avaient également tort, et qu’il n’appartenait qu’à leur vice-dieu de juger le P. Fa tutto. Il a été convenu qu’on l’enverrait par-devant sa divinité avec Amabed et moi, et ma fidèle Déra.

Je ne sais où demeure ce vice, si c’est dans le voisinage du grand-lama, ou en Perse ; mais n’importe, je vais revoir Amabed ; j’irais avec lui au bout du monde, au ciel, en enfer. J’oublie dans ce moment ma fosse, ma prison, les violences de Fa tutto, ses perdrix que j’ai eu la lâcheté de manger, et son vin, que j’ai eu la faiblesse de boire.


SEPTIÈME LETTRE
D’ADATÉ.


Je l’ai revu, mon tendre époux ; on nous a réunis ; je l’ai tenu dans mes bras ; il a effacé la tache du crime dont cet abominable Fa tutto m’avait souillée ; semblable à l’eau sainte du Gange[3], qui lave toutes les macules des âmes, il m’a rendu une nouvelle vie. Il n’y a que cette pauvre Déra qui reste encore profanée ; mais tes prières et tes bénédictions remettront son innocence dans tout son éclat.

On nous fait partir demain sur un vaisseau qui fait voile pour Lisbonne : c’est la patrie du fier Albuquerque ; c’est là sans doute qu’habite ce vice-dieu qui doit juger entre Fa tutto et nous : s’il

  1. Je l’excommunie.
  2. Toutes les éditions portent : aux mains des souliers violets. Adaté appelle ainsi les gants violets des évêques. (B.)
  3. Voyez tome XI, page 18 ; et tome XII, page 438.