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« Quoi ! disais-je en moi-même, il me retournera ! Qu’entend-il par me retourner ! Veut-il dire qu’il me rendra à ma patrie ? Ah ! Père Fa tutto, lui ai-je dit, retournez donc le jeune Amabed, mon tendre époux, rendez-moi mon âme, rendez-moi ma vie. »

Alors il a baissé les yeux ; il a parlé en secret aux quatre fantômes dans un coin de la chambre. Ils sont partis avec les deux hallebardiers. Tous ont fait une profonde révérence au tableau qui représente un homme tout nu ; et le P. Fa tutto est resté seul avec moi.

Il m’a conduite dans une chambre assez propre, et m’a promis que, si je voulais m’abandonner à ses conseils, je ne serais plus enfermée dans une fosse. « Je suis désespéré comme vous, m’a-t-il dit, de tout ce qui est arrivé. Je m’y suis opposé autant que j’ai pu, mais nos saintes lois m’ont lié les mains ; enfin, grâce au ciel et à moi, vous êtes libre dans une bonne chambre dont vous ne pouvez pas sortir. Je viendrai vous y voir souvent ; je vous consolerai ; je travaillerai à votre félicité présente et future.

— Ah ! lui ai-je répondu, il n’y a que mon cher Amabed qui puisse la faire, cette félicité, et il est dans une fosse ! Pourquoi y est-il enterré ? Pourquoi y ai-je été plongée ? Qui sont ces spectres qui m’ont demandé si j’avais été baignée ? Où m’avez-vous conduite ? M’avez-vous trompée ? Est-ce vous qui êtes la cause de ces horribles cruautés ? Faites-moi venir le marchand Coursom, qui est de mon pays et homme de bien. Rendez-moi ma suivante, ma compagne, mon amie Déra, dont on m’a séparée : est-elle aussi dans un cachot pour avoir été baignée ? Qu’elle vienne ; que je revoie Amabed, ou que je meure ! »

Il a répondu à mes discours et aux sanglots qui les entrecoupaient par des protestations de service et de zèle dont j’ai été touchée. Il m’a promis qu’il m’instruirait des causes de toute cette épouvantable aventure, et qu’il obtiendrait qu’on me rendît ma pauvre Déra, en attendant qu’il pût parvenir à délivrer mon mari. Il m’a plainte ; j’ai vu même ses yeux un peu mouillés : enfin, au son d’une cloche, il est sorti de ma chambre en me prenant la main, et en la mettant sur son cœur. C’est le signe visible, comme tu le sais, de la sincérité, qui est invisible. Puisqu’il a mis ma main sur son cœur, il ne me trompera pas. Eh ! pourquoi me tromperait-il ? Que lui ai-je fait pour me persécuter ? Nous l’avons si bien traité à Bénarès, mon mari et moi ! Je lui ai fait tant de présents quand il m’enseignait l’italien ! Il a fait des vers italiens pour moi ; il ne peut pas me haïr. Je le regarderai comme mon bienfaiteur s’il me rend mon malheureux époux,