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— Vous avez raison, dit le roi de la Bétique ; mais le retour à Babylone n’est pas si aisé que vous le pensez. Je sais tous les jours des nouvelles de ce pays-là par les vaisseaux tyriens, et par mes banquiers palestins, qui sont en correspondance avec tous les peuples de la terre. Tout est en armes vers l’Euphrate et le Nil. Le roi de Scythie redemande l’héritage de sa femme, à la tête de trois cent mille guerriers tous à cheval. Le roi d’Égypte et le roi des Indes désolent aussi les bords du Tigre et de l’Euphrate, chacun à la tête de trois cent mille hommes, pour se venger de ce qu’on s’est moqué d’eux. Pendant que le roi d’Égypte est hors de son pays, son ennemi le roi d’Éthiopie ravage l’Égypte avec trois cent mille hommes, et le roi de Babylone n’a encore que six cent mille hommes sur pied pour se défendre.

« Je vous avoue, continua le roi, que lorsque j’entends parler de ces prodigieuses armées que l’Orient vomit de son sein, et de leur étonnante magnificence ; quand je les compare à nos petits corps de vingt à trente mille soldats, qu’il est si difficile de vêtir et de nourrir, je suis tenté de croire que l’Orient a été fait bien longtemps avant l’Occident. Il semble que nous soyons sortis avant-hier du chaos, et hier de la barbarie.

— Sire, dit Amazan, les derniers venus l’emportent quelquefois sur ceux qui sont entrés les premiers dans la carrière. On pense dans mon pays que l’homme est originaire de l’Inde, mais je n’en ai aucune certitude.

— Et vous, dit le roi de la Bétique au phénix, qu’en pensez-vous ?

— Sire, répondit le phénix, je suis encore trop jeune pour être instruit de l’antiquité. Je n’ai vécu qu’environ vingt-sept mille ans ; mais mon père, qui avait vécu cinq fois cet âge, me disait qu’il avait appris de son père que les contrées de l’Orient avaient toujours été plus peuplées et plus riches que les autres. Il tenait de ses ancêtres que les générations de tous les animaux avaient commencé sur les bords du Gange. Pour moi, je n’ai pas la vanité d’être de cette opinion. Je ne puis croire que les renards d’Albion, les marmottes des Alpes, et les loups de la Gaule, viennent de mon pays ; de même que je ne crois pas que les sapins et les chênes de vos contrées descendent des palmiers et des cocotiers des Indes.

— Mais d’où venons-nous donc ? dit le roi.

— Je n’en sais rien, dit le phénix ; je voudrais seulement savoir où la belle princesse de Babylone et mon cher ami Amazan pourront aller.