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femme de chambre Irla, et ses deux cents cavaliers gangarides montés sur leurs licornes. Il fallut attendre assez longtemps pour qu’on ouvrît les portes. Elle demanda d’abord si le plus beau des hommes, le plus courageux, le plus spirituel et le plus fidèle, était encore dans cette ville. Les magistrats virent bien qu’elle voulait parler d’Amazan. Elle se fit conduire à son hôtel ; elle entra, le cœur palpitant d’amour : toute son âme était pénétrée de l’inexprimable joie de revoir enfin dans son amant le modèle de la constance. Rien ne put l’empêcher d’entrer dans sa chambre ; les rideaux étaient ouverts : elle vit le bel Amazan dormant entre les bras d’une jolie brune. Ils avaient tous deux un très-grand besoin de repos.


CHAPITRE XX.

FORMOSANTE, DÉSESPÉRÉE DE CE QU’ELLE A VU, QUITTE LES GAULES, ET VOUDRAIT Y ÊTRE ENCORE. AMAZAN, INCONSOLABLE DE SON INFIDÉLITÉ, COURT APRÈS FORMOSANTE.


Formosante jeta un cri de douleur qui retentit dans toute la maison, mais qui ne put éveiller ni son cousin ni la fille d’affaire. Elle tomba pâmée entre les bras d’Irla. Dès qu’elle eut repris ses sens, elle sortit de cette chambre fatale avec une douleur mêlée de rage. Irla s’informa quelle était cette jeune demoiselle qui passait des heures si douces avec le bel Amazan. On lui dit que c’était une fille d’affaire fort complaisante, qui joignait à ses talents celui de chanter avec assez de grâce. « Ô juste ciel, ô puissant Orosmade ! s’écriait la belle princesse de Babylone tout en pleurs, par qui suis-je trahie, et pour qui ! Ainsi donc celui qui a refusé pour moi tant de princesses m’abandonne pour une farceuse des Gaules ! Non, je ne pourrai survivre à cet affront.

— Madame, lui dit Irla, voilà comme sont faits tous les jeunes gens d’un bout du monde à l’autre : fussent-ils amoureux d’une beauté descendue du ciel, ils lui feraient, dans de certains moments, des infidélités pour une servante de cabaret.

— C’en est fait, dit la princesse, je ne le reverrai de ma vie ; partons dans l’instant même, et qu’on attelle mes licornes. »

Le phénix la conjura d’attendre au moins qu’Amazan fût éveillé, et qu’il pût lui parler. « Il ne le mérite pas, dit la princesse ; vous m’offenseriez cruellement : il croirait que je vous ai prié de lui faire des reproches, et que je veux me raccommoder avec lui. Si vous m’aimez, n’ajoutez pas cette injure à l’injure qu’il m’a faite. »