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Ils étaient enchantés d’une musique qui allait à l’âme sans étonner les oreilles.

La vraie poésie, c’est-à-dire celle qui est naturelle et harmonieuse, celle qui parle au cœur autant qu’à l’esprit, ne fut connue de la nation que dans cet heureux siècle. De nouveaux genres d’éloquence déployèrent des beautés sublimes. Les théâtres surtout retentirent de chefs-d’œuvre dont aucun peuple n’approcha jamais. Enfin le bon goût se répandit dans toutes les professions, au point qu’il y eut de bons écrivains même chez les druides.

Tant de lauriers, qui avaient levé leurs têtes jusqu’aux nues, se séchèrent bientôt dans une terre épuisée. Il n’en resta qu’un très-petit nombre dont les feuilles étaient d’un vert pâle et mourant. La décadence fut produite par la facilité de faire et par la paresse de bien faire, par la satiété du beau et par le goût du bizarre. La vanité protégea des artistes qui ramenaient les temps de la barbarie ; et cette même vanité, en persécutant les talents véritables, les força de quitter leur patrie ; les frelons firent disparaître les abeilles.

Presque plus de véritables arts, presque plus de génie ; le mérite consistait à raisonner à tort et à travers sur le mérite du siècle passé : le barbouilleur des murs d’un cabaret critiquait savamment les tableaux des grands peintres ; les barbouilleurs de papier défiguraient les ouvrages des grands écrivains. L’ignorance et le mauvais goût avaient d’autres barbouilleurs à leurs gages. On répétait les mêmes choses dans cent volumes sous des titres différents. Tout était ou dictionnaire ou brochure. Un gazetier druide[1] écrivait deux fois par semaine les annales obscures de quelques énergumènes ignorés de la nation, et de prodiges célestes opérés dans des galetas par de petits gueux et de petites gueuses ; d’autres ex-druides, vêtus de noir, prêts de mourir de colère et de faim, se plaignaient dans cent écrits qu’on ne leur permît plus de tromper les hommes, et qu’on laissât ce droit à des boucs vêtus de gris. Quelques archi-druides imprimaient des libelles diffamatoires.

Amazan ne savait rien de tout cela ; et, quand il l’aurait su, il ne s’en serait guère embarrassé, n’ayant la tête remplie que de la princesse de Babylone, du roi de l’Égypte, et de son serment inviolable de mépriser toutes les coquetteries des dames, dans quelque pays que le chagrin conduisît ses pas.

  1. On appelait Gazette ecclésiastique, le journal intitulé Nouvelles ecclésiastiques, ou Mémoires pour servir à l’histoire de la constitution Unigenitus, et qui parut dans le format in-4o, de 1713 à 1803. (B.)