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porte la lut le lendemain matin. « Voilà, dit-il en levant les épaules, de bien plates niaiseries » ; et il alla chasser au renard avec quelques ivrognes du voisinage.

Amazan voguait déjà sur la mer, muni d’une carte géographique dont lui avait fait présent le savant Albionien qui s’était entretenu avec lui chez milord Qu’importe. Il voyait avec surprise une grande partie de la terre sur une feuille de papier.

Ses yeux et son imagination s’égaraient dans ce petit espace ; il regardait le Rhin, le Danube, les Alpes du Tyrol, marqués alors par d’autres noms, et tous les pays par où il devait passer avant d’arriver à la ville des sept montagnes ; mais surtout il jetait les yeux sur la contrée des Gangarides, sur Babylone, où il avait vu sa chère princesse, et sur le fatal pays de Bassora, où elle avait donné un baiser au roi d’Égypte. Il soupirait, il versait des larmes ; mais il convenait que l’Albionien, qui lui avait fait présent de l’univers en raccourci, n’avait pas eu tort en disant qu’on était mille fois plus instruit sur les bords de la Tamise que sur ceux du Nil, de l’Euphrate, et du Gange.

Comme il retournait en Batavie, Formosante volait vers Albion avec ses deux vaisseaux, qui cinglaient à pleines voiles ; celui d’Amazan et celui de la princesse se croisèrent, se touchèrent presque : les deux amants étaient près l’un de l’autre, et ne pouvaient s’en douter. Ah ! s’ils l’avaient su ! Mais l’impérieuse destinée ne le permit pas.


CHAPITRE XVIII.

AMAZAN TRAVERSE LA GERMANIE, PASSE À VENISE. CE QU’IL Y REMARQUE. IL ARRIVE À LA VILLE DES SEPT MONTAGNES. CE QU’IL Y REMARQUE DE SINGULIER.


Sitôt qu’Amazan fut débarqué sur le terrain égal et fangeux de la Batavie, il partit comme un éclair pour la ville aux sept montagnes. Il fallut traverser la partie méridionale de la Germanie. De quatre milles en quatre milles on trouvait un prince et une princesse, des filles d’honneur, et des gueux. Il était étonné des coquetteries que ces dames et ces filles d’honneur lui faisaient partout avec la bonne foi germanique, et il n’y répondait que par de modestes refus. Après avoir franchi les Alpes, il s’embarqua sur la mer de Dalmatie, et aborda dans une ville qui ne ressemblait à rien du tout de ce qu’il avait vu jusqu’alors. La mer for-