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du bel étranger vainqueur des lions, donneur des plus gros diamants de l’univers, faiseur de madrigaux, possesseur du phénix, devenu le plus malheureux des hommes sur le rapport d’un merle.

« C’est mon cher frère, disait Aldée.

— C’est mon amant ! s’écriait Formosante ; vous l’avez vu sans doute, il est peut-être encore ici ; car, ma cousine, il sait qu’il est votre frère ; il ne vous aura pas quittée brusquement comme il a quitté le roi de la Chine.

— Si je l’ai vu, grands dieux ! reprit Aldée ; il a passé quatre jours entiers avec moi. Ah ! ma cousine, que mon frère est à plaindre ! Un faux rapport l’a rendu absolument fou ; il court le monde sans savoir où il va. Figurez-vous qu’il a poussé la démence jusqu’à refuser les faveurs de la plus belle Scythe de toute la Scythie. Il partit hier après lui avoir écrit une lettre dont elle a été désespérée. Pour lui, il est allé chez les Cimmériens.

— Dieu soit loué ! s’écria Formosante ; encore un refus en ma faveur ! mon bonheur a passé mon espoir, comme mon malheur a surpassé toutes mes craintes. Faites-moi donner cette lettre charmante, que je parte, que je le suive, les mains pleines de ses sacrifices. Adieu, ma cousine ; Amazan est chez les Cimmériens, j’y vole. »

Aldée trouva que la princesse sa cousine était encore plus folle que son frère Amazan. Mais comme elle avait senti elle-même les atteintes de cette épidémie, comme elle avait quitté les délices et la magnificence de Babylone pour le roi des Scythes, comme les femmes s’intéressent toujours aux folies dont l’amour est cause, elle s’attendrit véritablement pour Formosante, lui souhaita un heureux voyage, et lui promit de servir sa passion si jamais elle était assez heureuse pour revoir son frère.


CHAPITRE XIII.

ARRIVÉE DE LA BELLE BABYLONIENNE DANS L’EMPIRE DES CIMMÉRIENS. RÉCEPTION QU’ON LUI FAIT. ÉLOGE DE L’IMPÉRATRICE DES CIMMÉRIENS. NOUVELLE FIDÉLITÉ D’AMAZAN.


Bientôt la princesse de Babylone et le phénix arrivèrent dans l’empire des Cimmériens[1], bien moins peuplé, à la vérité, que la Chine, mais deux fois plus étendu ; autrefois semblable à la

  1. La Russie.